Franchement cela tient à pas grand-chose. Juste une affaire de rencontres. Un lieu, l’âme d’un cuisinier, une assiette qui vous parle dans le creux de l’oreille. On y vient avec ses espoirs rechargés, on y traîne aussi ses fantômes des jours passés, son quant-à-soi et ses humeurs du jour, on pousse la porte en croisant les doigts. Et parfois cela fonctionne. Comme un coup de foudre à basse température. Alors tout y est, l’excitation de la découverte, le plaisir de s’y précipiter à cœur perdu, de dévorer son bonheur tout entier et la joie future de partager sa trouvaille avec de vieux amis.
Cette fois là, nous étions sous les arcades. Un passage comme le cœur nostalgique de Paris se plaît à nous les masquer, non loin des Grands Boulevards, des échoppes d’un autre âge attachant, un vieux graveur sous les lanternes et au détour d’un coude, une ancienne imprimerie minuscule reconvertie, à l’enseigne comme une profession de foi : Marchand de Vin. Les caractères balzaciens, la verrière en demi-teinte, une vitrine transparente de verres et de bouteilles, une barrique et son amas de bouchons de liège, nous y sommes.
Racines. Un beau nom classique. Et comme une promesse, celle de s’y retrouver soi-même, et d’y revenir ensuite.
Quelques mois d’activité seulement et pourtant tout est déjà là. Pierre Jancou a trimballé sa grande carcasse tatouée et ses cheveux hirsutes de la Crèmerie (Paris 6ème) à l’imprimerie, ouvert son mini-caboulot dans un foutoir gentiment désordonné, placé ses sélections de vins dans des casiers le long des murs, tiré quelques tables de bois, sorti les chaises de bistrot, bricolé une cuisine ouverte de fond de pièce aux reflets métalliques, ajouté quelques lampes néo-indus et il s’est mis au travail.
Une sélection de vins naturels diablement affûtée, ça c’est le plaisir premier de Pierre, très sérieusement épaulé dans ce domaine par Ewen, un jeune fou de la picole, lunettes de premier de la classe d’œnologie, T-Shirt et tire-bouchon militants, buvant ses jours comme vous du petit lait. Il faut d’ailleurs – et c’est souvent la règle – leur confier le sort de votre verre, ils sauront le prendre par surprise, avec des vins loin des habitudes tourne-en-rond.
Et dans l’assiette ? Une ardoise ultra-courte, où l’on révise sa table des 3, trois entrées, trois plats, trois fromages, trois desserts, en perpétuel mouvement, elle change tout le temps, du midi au soir, du jour au lendemain, selon les arrivages, la consommation et les humeurs. Une bien belle ardoise en vérité, plantée comme un étendard dans le territoire des meilleures origines. Car c’est la marque de fabrique de Pierre Jancou, des produits d’une exceptionnelle qualité qu’il accommode ensuite avec talent mais sans artifices. Jugez plutôt : les salaisons viennent directement de petits producteurs italiens dénichés par Pierre (il est franco-italien), tout comme le Parmesan, son huile d’olive et son vinaigre balsamique de Modène qu’il va chercher lui-même. Les légumes, accrochez-vous à la rampe, arrivent tout droit du potager du grand-maître-des-légumes, Alain Passard lui-même (3 étoiles à l’Arpège dans le 7ème), de même que les volailles envoyées par Pascal Cosnet, lui aussi fournisseur de l’Arpège. On finira sur les viandes qu’Hugo Desnoyer, le mythique boucher de la Rive Gauche qui livre avec parcimonie quelques restaurants parisiens triés sur le volet.
L’évidence. Avec de tels produits, il ne faut pas trop en faire en cuisine. D’ailleurs, Pierre l’avoue lui-même « Je ne suis pas un grand cuisinier, juste un bon cuisinier, mais j’ai la passion des beaux produits et je sais les dénicher ». Dont acte. Et vérification illico presto dans l’assiette.
Démarrage en douceur avec une petite planche de charcuteries italiennes à partager (8 €), coupées si finement qu’on voit le plaisir en transparence, au goût alternativement corsé ou subtil, au gras nacré et luisant et à la viande rouge carmin. Un vrai bonheur de simplicité que bouscule carrément le Fronton de nos verres (Domaine Croix de Peyrat de Denis Dussere) rude, animal, qui se défend bec et ongles mais fini par s’assouplir, rôder dans les coins et chercher les caresses.
A suivre, la divine surprise d’un « Coq du Patis de Pascal Cosnet à la Balsaline » (21 €), servi avec des carottes jaunes et un gratin de topinambours, traité en dauphinois, aux tranches d’une finesse exquise et à la suavité improbable. Je crois bien qu’avant cela c’est comme si je n’avais jamais mangé de topinambours ! De quoi renouveler l’envie de filer chez Passard… Le tout accompagné d’une sauce au Côteaux de Layon, ce vin blanc liquoreux de la Vallée de la Loire, doux, légèrement fruité aux arômes blancs, pêche, abricot, délicatement sucré en équilibre qui affine de ses rondeurs la chair délicieusement tendre, fondante et pourtant corsée de la volaille. Tout simplement bluffant !
Le final ne valait pas grand-chose, un « Gâteau de Zoé au chocolat noir », juste bien, au dessous un peu trop brûlé et au goût du coup devenu difficile au final. Mais bon, on ne juge pas un bistrot sur ses pâtisseries. Thomas aurait dû le savoir. D’ailleurs, cela ne changera rien à notre enchantement d’un déjeuner du petit bonheur la chance, sincère, épatant et diablement bon.
Avant le départ Pierre nous le glisse en confidence, à venir, un petit étage supplémentaire traité en table d’hôtes pour les copains (15 à 20 couverts) et une belle terrasse sous la verrière pour les jours de Printemps sous le soleil.
Nous, c’est sûr, on sera là. Juste une affaire de rencontres, je vous le disais bien.
Notre déjeuner vu par Thomas Clément.
Plus de photos du Racines ici.
Racines
8, passage des Panoramas
75002 Paris
Téléphone : 01 40 13 06 41
Ouvert du lundi au vendredi, de midi à minuit
A l’ardoise, comptez entre 30 € et 40 €
superbement écrit .c'est fou comme des endroits, des rencontres peuvent marquer... encore un beau moment .
Rédigé par : emilie | 21 mars 2008 à 20:25
j'aime bien quand ça change tout le temps, aujourd'hui j'ai mangé une omelette truffe, le vendredi saint y était pour quelque chose, je vous l'avoue ce soir
Rédigé par : brigitte | 21 mars 2008 à 21:13
Long Pierre / Short Ewen!
Rédigé par : Chrisos | 25 mars 2008 à 11:21
Oui, tout est clair : un bel endroit où l'on a envie de se laisser faire, découvrir en confiance... Nous le défendons ici : http://francoissimon.typepad.fr/simonsays/2007/11/racines-bonheur.html
A très vite
Rédigé par : CdRhum | 28 mars 2008 à 15:30
mais c'est qu'il est joli ce texte là
Rédigé par : emmanuelle | 04 avril 2008 à 11:08
J'ai eu le plaisir d'y aller ce midi. Très bons produits, un boudin noir d'exception en entrée, suivi de cotelettes d'agneau divines. Mes comparses ont aussi très apprécié l'andouillette et les frites sublimes. Un petit vin de soif pour accompagner le tout. Pour le soir je conseille néanmoins d'emmener sa bouteille (droit de bouchon 8€) car la carte des vins est orientée découvertes et vins bios. Enfin un restaurant ou l'on croise Marc Veyrat en train de déjeuner est forcément une bonne adresse ;-)
Rédigé par : nicolas | 21 octobre 2008 à 15:44
Bonjour,
J'ai lu votre article dans le gratuit M.I.A.M distribué par La Terrasse Mirabeau, que de bla bla pour un si bel et bon endroit (Je parle de Racines), c'est de l Emmanuel Rubin tout craché, on attend nerveusement de savoir ce que l'on va manger et boire et pendant ce temps là on se "farcit" les états d'âme du rédacteur. Du concis du précis et des noms de producteurs, car c'est quand même une "cave à manger" (je fait là une Rubinerie). Eh bien non, on lit un sancerre, blanc, rouge, sais pas ! de chez qui ? absent !
Au fait, le nom du bistro, Racines,c'est le nom d'un vin rouge de Sologne de l'atypique Claude Courtois, et c'est en son hommage et non en souvenir du classique Jean Racine, que Pierre Jancou à ainsi dénommé son resto.
Autre bon bistro du secteur, fréquenté par Pierre : Les Fines Gueules 2 rue de La Vrillère (près Place des Victoires).
Rédigé par : Alain Lenoir | 13 décembre 2008 à 15:56
Bonjour,
J'ai lu votre article dans le gratuit M.I.A.M distribué par La Terrasse Mirabeau, que de bla bla pour un si bel et bon endroit (Je parle de Racines), c'est de l Emmanuel Rubin tout craché, on attend nerveusement de savoir ce que l'on va manger et boire et pendant ce temps là on se "farcit" les états d'âme du rédacteur. Du concis du précis et des noms de producteurs, car c'est quand même une "cave à manger" (je fait là une Rubinerie). Eh bien non, on lit un sancerre, blanc, rouge, sais pas ! de chez qui ? absent !
Au fait, le nom du bistro, Racines,c'est le nom d'un vin rouge de Sologne de l'atypique Claude Courtois, et c'est en son hommage et non en souvenir du classique Jean Racine, que Pierre Jancou à ainsi dénommé son resto.
Autre bon bistro du secteur, fréquenté par Pierre : Les Fines Gueules 2 rue de La Vrillère (près Place des Victoires).
Rédigé par : Alain Lenoir | 13 décembre 2008 à 15:58