Chroniques du Plaisir

Cru

Si l'envie vous titille, soleil aidant, de vous la couler douce en plein air un de ces prochains jours de météo clémente, j'ai l'adresse qu'il vous faut : Cru.

Une terrasse planquée en plein coeur du village Saint-Paul comme une échappée provinviale aux couleurs acidulées, une clientèle qui doit approcher les 80% de féminité (un petit paradis donc) et le charme tranquille d'un endroit peu connu (à tort, mais c'est tant mieux). Cru, c'est une table aux dehors naturels, un peu écolo, un peu design, où l'on aime se retrouver au calme pour déguster des petits plats - crus ou cuits - d'une fraîcheur exemplaire. Car ici l'assiette est ruisselante de candeur, elle respire la spontanéité et la générosité de qui veut prendre autant soin du fond que de la forme. On y trouve donc une série de plats crus diablement malins et quelques spécialités chaudes tout aussi affutées pour les indécrottables.

Au rayon froid (qui eut ce jour de Printemps notre préférence) : "Coques en gelée de céleri et concombre", "Ceviche de cabillaud, mangue et passion", "Consommé de volaille au galanga et ravioles chinoises", "Tartare d'agneau au citron confit et cumin", "Tataki de boeuf au satay, salade de chou chinois", "Carpaccio de vitello tonnato"... Et un "Tartare de boeuf thaï" dépaysant, aux épices subtiles, qu'accompagnaient pour la circonstance des frites de patate douce d'une pudeur exemplaire, croustillantes et douces. Sans oublier le must d'un "Cheese-cake maison" aux fruits rouges, très réussi dans sa partition sucré/acide. Mais bon, allez, si le cru vous déconcerte, si vous voulez faire un tour par le réchaud, on vous servira aussi de très jolis plats, tels ce "Risotto à l'encre de seiche", cette " Côte de veau rôti à la sauge" ou ces "Calamar à la plancha au sésame et gingembre"... Dernier détail, mais qui pour moi a toujours son importance, les assiettes sont très joliment présentées et savent flatter l'oeil de leurs couleurs naturelles. 

Vous l'avez compris, Cru vaut le détour, la halte d'un déjeuner paisible. Alors, profitez-en vite avant le retour des grands froids !

 

Cru
7, rue Charlemagne
75004 Paris
01 40 27 81 84

Formule déjeuner à 19 €
A la carte, compter entre 30 € et 40 €

Fermé dimanche soir et lundi
(Attention, on m'a rapporté que la terrasse, toujours ouverte au déjeuner, fermait parfois en soirée.)

Plus de photos de Cru, ici.

Jaja

 

Vous avez aimé Glou, son atmosphère vibrante, ses assiettes affutées sans prise de tête et ses nectars de premier choix ? Alors votre plaisir sera double dès que vous aurez franchi les portes de la nouvelle adresse que vient d’ouvrir la même équipe : Jaja. Glou ? Jaja ? Le moins que l’on puisse dire c’est qu’une certaine constance sur l’importance des liquides est ici manifeste. Et elle est réelle, comme en atteste la lecture de la carte des vins où les trouvailles somptueuses de Julien Fouin donnent envie de déboucher plus d’une bouteille, bien plus d’une… (Ah, ces vins de Loire de Jean-François Meriau !) Côté cuisine, on reprend l’approche de Glou (des produits de grande qualité mis en valeur simplement et respectés dans leurs saveurs) avec une touche de sophistication supplémentaire. Pour nous, ce soir là, une « Terrine de queue de bœuf au foie gras » solide et caressante, dopée par une petite touche fraîche et épicée de raifort , un « Saumon bio fumé, pain toasté et crème acidulée » aussi frais et tendre que s’il avait quitté sa rivière d’Ecosse pour sauter directement dans notre assiette, un « Picatta de veau, légumes sautés à cru, gingembre et citrons confits » tout en rondeur et des « Linguine artisanales aux coquillages et au safran » où les Tellines de Méditerranée (une rareté) s’essaient à l’ouvrir aussi large que la gueule béante et orangée des moules de Bouchot – un régal de parfums. En dessert, une « Brioche façon pain perdu et caramel laitier » craquante, fondante et douce comme un souvenir de goûter d’enfance. Quant au décor, au design soigné et chaleureux (bois clair, pierres apparentes, suspensions industrielles écarlates), on s’y sent bien, attendant avec impatience l’arrivée des beaux jours et la vie en plein air sur la terrasse de bois. Si on ajoute le service, juvénile aux petits oignons, et un menu déjeuner à 21 €, vous conviendrez avec moi que cette adresse ne manque pas de charme, loin de là. Alors, excusez-moi, j’y retourne !

 

Jaja
3, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie
75004 Paris
Téléphone : 01 42 74 71 52

Ouvert tous les jours

Menus Déjeuner à 16 € et 21 €
A la carte, comptez entre 30 et 40 €
Réservation conseillée.

Plus de photos de Jaja, là. 

Le Dôme du Marais

              

     

Il en est de ces adresses comme des vieux domestiques du roman balzacien : elles sont là depuis si longtemps qu’on ne les remarque plus. Enfouies dans les plis d’une mémoire trop portée, elles restent posées là, à côté d’une main qui jamais ne se tend. Ou si peu. Elles n’ont pourtant pas démérité. C’est simplement que le jour se lève désormais en d’autres lieux. Mais quand par hasard l’idée vous revient et que vous filez déjeuner au Dôme du Marais, sous l’antique rotonde de lumière dorée (l’ancienne salle des ventes de Ma Tante), les goûts vous reviennent en bouche avant l’assiette. Derrière les hauts murs, face à de noires statues, on respire lentement, dans une salle d’un calme de page blanche.

    

Les souvenirs alors s’incarnent dans un Millefeuille de mousseron, léger, crémeux, conjuguant l’odeur des sous-bois et la vivacité potagère de l’épinard frais, une Dorade grillée subtilement soulignée d’une émulsion d’huile d’olive grecque et un Soufflé chaud à la Chartreuse d’anthologie. Un dessert qui avance bedonnant de bonheur tiède, à peine alcoolisé par un voile de Chartreuse comme une brume matinale, traînant dans son sillage un sorbet pomme verte – estragon soufflant le froid et le chaud. Un dessert que l’on croyait à jamais disparu dans les arrière-cours de nos enfances et qu’on retrouve là comme un oubli.

  

Le tout sous la baguette d’un maître d'hôtel cravaté à la raideur, la politesse, et le parler d'autrefois. Un plaisir de plus en plus rare.

   

  

     

  

  

Le Dôme du Marais

53 bis, rue des Francs-Bourgeois

75004 Paris
Téléphone : 01 42 74 54 17

  

Fermé Dimanche et Lundi

   

Menu déjeuner à 25 € (Formule à 19 €)

A la carte, compter entre 40 € et 60 €

    

Plus de photos du Dôme du Marais, là.

 

Monjul

                     

      

Il est à table un ennemi insidieux, un serpent soporifique et sournois qui vous débine l’appétit en moins de deux, une véritable chausse-trappe à enthousiasme. Cet implacable fossoyeur du bonheur de manger, c’est l’ennui. Le ronron des assiettes à l’identique, le bâillement des ardoises homothétiques, la tristesse du millième steak de thon ou du centième parmentier de canard. L’ennui, c’est la tristesse assassinant le désir. Les pieds qui traînent pour passer la commande, le regard dans le vague au moment du coup de fourchette, l’esprit qui file en goguette dès la première bouchée.

                     

Aussi quand on met la main sur une table du tout-venant qui vous étonne, écarquille vos yeux et secoue sauvagement vos papilles, on est prêt à beaucoup lui pardonner. Surtout lorsqu’elle se trouve en plein cœur de Paris et aligne son feu d’artifice pour moins de 30 euros.

                     

Cette table, à la fois surprenante et ludique, c’est Monjul.

                      

Les Côtelettes

                                       

Il y a toujours quelque chose de délicat dans la chronique d’une nouvelle adresse. On avance sur la pointe des pieds, en éclaireur des possibles plaisirs à venir, un peu tremblant tout de même à l’idée de ne pas rendre vraiment compte de ce que sera l’endroit dans quelques semaines, lorsque, après les à-peu-près et la nappe raidie, la peinture sera définitivement sèche.

                        

C’est pour cela que je rechigne un peu à vous livrer mes toutes nouvelles couvées, assez souvent de moyenne altitude ces derniers mois, il faut bien le reconnaître. Et à moins que l’expérience soit suffisamment odieuse pour me chatouiller la bile (un bel exemple d’agacement ici), je reste le bec clos. Mais heureusement pour vous, comme toutes les règles, celle-ci souffre de notables exceptions.

                               

Celle d’aujourd’hui s’est amarrée dans une impasse solitaire, à quelques encablures de la place de la Bastille, et est signée d'un joli trio emmené par Laurence Voiturier, anciennement associée du Ramulaud avec Gilles Bénard (aujourd'hui à la barre des Zingots et de Quedubon). Ouverte depuis à peine deux semaines, je peux, pour une fois sans frémir et craindre l’erreur judiciaire, lui prédire quelques beaux wagons de mangeurs enthousiastes.

                     

Cela s’appelle « Les Côtelettes ».

                     

Chez Julien

                  

Franchement, je crois que rien ne peut être plus exaspérant au restaurant : se réjouir à l’avance d’aller dîner dans un endroit qui a tout pour lui, le quartier, le décor, l’histoire et se retrouver finalement assis à une table qui marche à côté de ses Berluti, gâte la sauce de ses atouts, et finit par vous flanquer entre les omoplates un horripilant et poisseux sentiment de gâchis.

            

C’est très exactement le résumé de mon dernier dîner Chez Julien.