Il est à table un ennemi insidieux, un serpent soporifique et sournois qui vous débine l’appétit en moins de deux, une véritable chausse-trappe à enthousiasme. Cet implacable fossoyeur du bonheur de manger, c’est l’ennui. Le ronron des assiettes à l’identique, le bâillement des ardoises homothétiques, la tristesse du millième steak de thon ou du centième parmentier de canard. L’ennui, c’est la tristesse assassinant le désir. Les pieds qui traînent pour passer la commande, le regard dans le vague au moment du coup de fourchette, l’esprit qui file en goguette dès la première bouchée.
Aussi quand on met la main sur une table du tout-venant qui vous étonne, écarquille vos yeux et secoue sauvagement vos papilles, on est prêt à beaucoup lui pardonner. Surtout lorsqu’elle se trouve en plein cœur de Paris et aligne son feu d’artifice pour moins de 30 euros.
Cette table, à la fois surprenante et ludique, c’est Monjul.
Direction donc les abords du Marais, près de la rue des Archives, ses pierres apparentes, ses plafonds aux poutres gondolées, ses boutiques ultra-fashion, ses couleurs pastel et sa touche parisienne, mixée homo-cosmo. Une mini-devanture, un resto tout en longueur mais éclairci d’une large verrière zénithale, un décor parfois un peu trop chichiteux (le rideau de l’entrée, la boule à facettes, les petites bulles en suspension…), mais clair et calme, donnant dans le charme épuré et courbe du design scandinave, avec toutefois un petit parfum de bonbonnière pop pas désagréable. Mais ce n’est pas là l’intérêt principal de l’endroit.
Car ici, c’est l’assiette qui fait l’attraction. Et comment ! Ouvrons la carte : « Laitière de foie gras au potiron », « Déconstruction de légumes façon terrine », « Saumon aux épices kebab, patate frite, oignons confits à la grenadine », « Tagine d’agneau, carotte au lait d’amande et spaghetti de courgette », « Crunch 27 », « Mirliton au litchi », forcément, là, ça intrigue. Alors on appelle et on se fait décrypter les intitulés sibyllins en se disant que tout de même, une carte ça devrait pouvoir se lire sans décodeur... On fait notre choix finalement un peu au doigt mouillé dans le menu à 29 € (qui se révèlera une aubaine, oui, oui, je vous dévoile déjà la fin !) et on se laisse embarquer pour l’inconnu.
Pour tromper l’attente, un amuse-bouche en préambule, « Raviole de saumon, écume de pamplemousse ». Raviole, le terme est trompeur car on se retrouve nez-à-nez avec un dim-sum cuit à la vapeur (un ravioli chinois quoi) au saumon bien sûr, que caresse la fraîcheur de quelques feuilles d’épinard et que bouscule ensuite de son goût pimenté un trait de mangue très épicée. C’est agréable, fin et subtil, avec cette petite touche d’acidité de l’agrume, légère comme un nuage. Le genre d’entrée en matière qui vous assoit confortablement dans le fauteuil de la bienveillance.
Puis on nous apporte l’entrée, un « Consommé de volaille laquée, coco à votre goût » au nom bien mystérieux. Et effectivement, c’est surprenant ! Par les proportions tout d’abord, pour une entrée, elle est plus que conséquente. On trouve ainsi sur une assiette aux dimensions respectables : un petit pot de lait de coco épicé froid, un consommé chaud au gingembre et à la citronnelle parsemé de coriandre et cébette, du gingembre cru, mariné et rapé, une mini brochette de poulet caramélisé et une petite tuile à la cacahuète ! Par la construction du plat ensuite. Je suis perdu devant tous ces éléments, alors on m’explique comment cela se mange : on dose soi-même le lait de coco dans le consommé, on mange la brochette avec les doigts, bref, on joue au meccano culinaire. D’accord c’est ludique mais dans l’ensemble, tout n’est pas à la hauteur, le poulet est trop cuit et un peu sec quand on le rêverait moelleux, la tuile est inutile et n’apporte pas de saveur dissonante ou en surlignage, le consommé en revanche est délicieux, adouci d’un trait de coco blanc, il est chaud et réconfortant comme un édredon de campagne, subtilement parfumé de citronnelle. Un sentiment de manque de cohérence tout de même.
Pour le plat principal, « Lotte infusée, guimauve au wasabi ». Cela se présente comme une immense brochette de joues de lotte poêlées, infusées au sésame qu’accompagnent une salade d’herbes, des tuiles rondes de gingembre et ail, de petits carrés de guimauve à la racine de wasabi et graines de wasabi, et une purée de patates douces maison. La lotte est cuite à la perfection, tendre, délicate, une chair moelleuse comme un rêve érotique (j’adore), les tuiles de gingembre en revanche sont trop sucrées et saturent le palais (on n’en prendra qu’une bouchée), le wasabi apporte une chaleur soudaine, forte, très épicée, que vient tempérer une superbe purée de patate douce, orangée, doucâtre, et que rafraîchit d’une claque une très belle salade d’herbes (on y distingue du persil plat, de la coriandre, de l’aneth), un grand coup de frais sur la langue. C’est un plat qui vous fouette le visage, vous caresse avant de vous gifler, très étonnant. Mais au final on a le sentiment de s’éparpiller un peu, on cherche parmi toutes ces saveurs celle qui nous séduit vraiment. Trop c’est trop et c’est dommage.
En manque d’appétit, les papilles battant la chamade, on s’essaie quand même au dessert, la curiosité étant un délicieux défaut. Ce sera un « Kit de tarte tatin, sans mode d’emploi ». Et ce sera la meilleure surprise du repas. Imaginez-vous ça : sur une grande tuile d’ardoise, des pommes caramélisées en carré, au garde-à-vous, une virginale quenelle de glace au fromage blanc, trois rondelles de gelée de caramel au beurre salé en rang d’oignon, une trainée de caramel liquide, le tout barré d’une grande bande filiforme de feuilleté fin et craquant. C’est très graphique et au goût, c’est épatant, on y retrouve enfin une vraie unité, un propos, tout l’univers de la tatin renouvelé, le croquant du feuilleté, la suavité tendre de la glace pas trop sucrée, le fondant et le parfum sucré des pommes, tout y est !
Bon alors me direz-vous, au final que faut-il penser de la cuisine de Julien Agobert au Monjul ? Franchement, même si je suis un peu sur la défensive, ce chef-là m’a épaté par l’inventivité de sa cuisine, ses assemblages malins, ses parfums de saveurs lointaines, son audace qui déborde des cadres usuels, son plaisir évident à dévider la bobine d’une cuisine ludique qui le fait avant tout marrer. Le seul bémol pour moi, c’est qu’elle manque encore un peu de discipline, de concentration dans le propos. Ça part parfois un peu dans tous les sens, certains plats manquant d’équilibre avec une saveur trop dominante qui emporte le goût de l’ensemble comme un raz-de-marée au dessus des digues.
Mais revenons aux fondamentaux, le menu du soir est à 29 €, celui du midi à 18 € et dans cette gamme de prix, c’est un véritable OVNI, car on ne trouve pas facilement de table qui vous surprenne à ce point et vous tire par la manche vers des territoires inconnus sans grimper à l’échelle des étoilés.
Et moi, quand on me bouscule gentiment comme cela, ça me plaît.
Monjul
28, rue (clos) des Blancs Manteaux
75004 Paris
Téléphone : 01 42 74 40 15
Fermé Dimanche et Lundi
Menu déjeuner à 18 €
Menu dîner à 29 €
Sinon, comptez entre 30 € et 40 €
Plus de photos du Monjul, ici.
merci pour ce bon plan, ca donne envie d'y aller en effet...
quid des vins ? carte correcte ?
Rédigé par : Laurent (GoT) | 16 avril 2008 à 10:18
Merci Thierry pour ce joli compte rendu.
C'est amusant comme Monjul déchaîne les passions sur mon blog. Je ne sais s'il en sera de même chez toi ! En tout cas, ce restaurant ne laisse personne indifférent.
Rédigé par : Caroline M | 16 avril 2008 à 10:58
On dirait la carte d'Adam et Eve à l'envers! Le dessert c'est bien là la pomme, c'est extraordinaire comme vous savez déguster la tentation tout en finesse, comme si le serpent s'endormait en douceur pour ne pas voir le péché mais plutôt d'en rêver. Je vous remercie d'autant d'apesanteur dans mon coeur écorché...
Rédigé par : Sand | 16 avril 2008 à 12:36
Laurent > Rien de bouleversant, la carte est très courte mais, fait notale, aucune bouteille ne dépasse les 30 €. Une bonne surprise néanmoins, un Menetou-Salon blanc (un de mes péchés mignons) excellent.
Caroline > C'est compréhensible. Comme je le disais dans l'intro, cette table a aussi ses bémols et l'inventivité de l'assiette ne va pas sans une certaine "fébrilité" (copyright Emmanuel Rubin). Mais à moins de 30 €, à mon humble avis, cela vaut carrément le détour.
Sand > De rien. Vraiment, de rien.
Rédigé par : Thierry Richard | 17 avril 2008 à 10:43
Vraiment de beaucoup tu veux dire, je te dois une fière chandelle.Telle est ma reconnaissance.
Rédigé par : Sand | 17 avril 2008 à 10:59
ah, zut je lis qu'il y a des "bémols", d'un autre côté c'est à côté de la maison, on peut pas tout avoir. Je vais me faire une idée et je reviendrai.
Rédigé par : Nahimage | 17 avril 2008 à 18:30
A ce prix là je pense que ça vaut le détour ! Effectivement c'est rare de trouver une telle table à ce prix, je note précieusement l'adresse, merci !
Rédigé par : Cat | 18 avril 2008 à 13:17
Alors petit feu follet de Venise, t'es où?Tu voyages constamment hein?!Tu es un gourmand invéterré? Un jouisseur né comme dit notre Âme, le cher Lâm du commerce ardant!:)Je voudrais bien encore de ta poésir Gentleman cambrioleur!Please Mister!
Rédigé par : Sand | 18 avril 2008 à 13:55
Merci de m'avoir fait découvrir Monjul ! j'y ai invité un ami à midi : tout à fait d'accord avec ta jolie prose, juste une réserve sur la tatin que j'ai trouvée ratée : croustillant sans finesse, pommes trop sucrées, glace fadasse. Mais superbe croquant de rable de lapin, très bonne "laitière de foie gras", sympathique consommé au coco. On ne s'ennuie pas en effet. Et un service charmant. Thierry, j'apprécie beaucoup ton blog, ton écriture raffinée et malicieuse.
Rédigé par : cacoum | 19 avril 2008 à 00:08
Bah...quelle déception!!!
L'intitulé présentait Monjul " cuisine créative et gourmande " , la créativité est là certes mais le goût, la gourmandise ...
On se souvient de rien, on oublie tout tant les assiettes sont complexes et semblent sans cohérences. On essaye pourtant à chaque bouchée. Mais rien... il ne se passe rien.
On sort, on dit c'était bon? Mais on a oublié la carte de visite sur place...
Rédigé par : Franois Simon | 30 décembre 2011 à 09:25