La tendance serait-elle au downsizing de nos ambitions, au rétrécissement de nos belles adresses, à la miniaturisation des cuisines qui renouvellent ainsi l’intimité ? Après l’Astrance, récent promu au rouge firmament des triples étoilés (26 couverts tout au plus), c’est Spring qui s’y est collé, 16 couverts dans un deux-pièces-cuisine du haut du 9ème, jeune chef américain et menu unique, ça valait le déplacement. Revue de détails.
Nous voici donc ce soir, la Belle et moi, rue de la Tour d’Auvergne devant une grande baie vitrée dont nous cherchons en vain la porte. Impossible d’ouvrir, pas de poignée visible, à l’intérieur quelques convives déjà présents nous regardent en souriant, ils étaient tout aussi ridicules que nous il y a à peine quelques minutes. Lisa, de noir vêtue, vient nous ouvrir : la porte coulisse sous sa pression ferme et nous entrons, un peu sur invitation.
Une petite salle à la déco contemporaine minimaliste (murs blancs, banquettes design noires à la Mies Van Der Rohe, tables en bois brut), toute de longueur et qui se termine par le bar bois-acier d’une cuisine américaine aux murs gris mat, ouverte sur la salle. Une cuisine américaine ? Cela tombe bien, le chef vient de Chicago et il s’appelle Daniel Rose. Débarqué en France pour des études de philosophie, il feuillettera Ducasse plutôt que Kant, trouvera sa métaphysique dans la cuisine, et une passion qui lui vaudra de passer quelques temps chez Bocuse, puis Yannick Alleno, le temps d’acquérir les bases et d’affuter son talent. Quelques errances dans Paris avec Inaki Aizpitarte (Le Chateaubriand) pour trouver un emplacement et Spring a pignon sur rue.
Daniel est un self-made-cook, un amoureux passionné de cuisine, le genre à vouloir partager ses ébats de cambuse avec la terre entière. Son mantra : cuisiner tous les soirs un menu unique (deux entrées, un plat, un dessert) selon son humeur, les produits de saison et les fruits de sa traque maraîchère au marché de la Place des Fêtes (19ème), menu qu’il prépare à découvert et sert à une poignée d’hôtes trop heureux d’avoir arraché au téléphone l’une des 8 tables de ce mouchoir de poche.
La petitesse des lieux, la cuisine américaine ouverte aux quatre vents, le personnel réduit au duo Daniel et Lisa donnent au dîner un goût prononcé de soirée entre amis, détendue, sans embarras et familière, sans pompe ni artifices.
Le chef s’active donc dans sa cuisine, les odeurs se répandent petit à petit, en douceur, on hume tranquillement, rien n’agresse les narines. Ma Belle est aux anges, un premier verre de Chiroulet (Vin de Pays des Côtes de Gascogne 2005 – 26 €) lui fait monter le rose aux joues. Le temps de se murmurer le plaisir de se retrouver là et la première entrée se glisse sur la table.
D’un orange qui claque sa modernité, le « Velouté de carottes sans crème au foie gras » est délicatement saupoudré d’un peu de persil et de poudre de betterave. Vient s’y jeter comme d’un plongeoir une longue tranche de pain au pavot grillé sur laquelle campent un morceau de foie gras et quelques éclats de fève de cacao. La soupe est d’une délicatesse extrême, à peine salée, très douce dans les saveurs de carotte surlignées de la graisse d’oie et à laquelle le cacao distille sa pointe d’acidité. C’est simple, direct, sans détours inutiles et vains labyrinthes gustatifs, avec juste la pointe d’originalité qui creuse l’écart et fait la différence.
Vient ensuite la seconde entrée, une « Salade d’asperges et poitrine de porc », les premières asperges de la saison, croquantes comme on les aime, à peine accompagnées d’une mayonnaise au raifort et jus d’orange, que fait craquer une petite pointe d’échalotte. La poitrine de porc apporte sa chaleur, quelques agrumes complètent le tout de touches acidulées. C’est très agréable, léger comme un vent de Printemps, dépouillé dans l’approche, charmeur dans le traitement, plein d’allant. Frais ! Frais ! Frais !
Et le temps passe doucement chez Daniel, on jette toujours un œil en cuisine pour voir ce qui s’y prépare, on admire l’organisation et les préparations assemblées sous nos yeux indiscrets, le chef préparant ses 16 assiettes sur le comptoir, un travail à la chaîne d’artisan de luxe. Mais c’est bientôt le moment de la viande et on a un peu de mal à bien voir ce qui se trame et à quelle sauce tout cela sera mangé.
Quelques considérations cinématographiques plus tard – c’est ce soir-là que j’ai appris que Truffaut adressait ses lettres à « Framboise » Dorléac, qu’il avait fait tourner dans La Peau Douce, pour être sûr qu’elle les lise en souriant, charmant détail – voici l’agneau qui pointe son museau sous la forme d’une « Epaule d’agneau, purée d’amande ». La viande, recouverte d’une fine couche de chapelure et de romarin, cuite sous vide des heures durant, se révèle d’un fondant exquis, que la purée d’amande et une petite touche de purée d’abricot viennent joliment souligner de leur saveur à peine sucrée, contrepoint des puissants sucs d’agneau réduits dans l’assiette. C’est étonnant, vif, enlevé, on sent le sud, la Méditerranée toute proche, sa clarté et sa fraîcheur.
Le niveau du Chiroulet, si charnu et présent en bouche avec son très léger goût réglissé, baisse dangereusement et nous serons bientôt en basses-eaux. Il est temps de conclure. Oui ma Belle, l’Italie nous manquera cette année, oui, nous devrions prendre le temps d’y retourner, oui, oui, oui.
Et pendant ce temps le dessert se compose à deux pas, un copeau de chocolat noir géant, une tuile en amande, du kumquat confit, une pointe de menthe et une très légère mousse vanillée. Subtil mélange de fondant, croquant, mou, gazeux. Un peu trop pour moi. Mais ma Belle est chocolat. Je me vengerai sur un café d’Ethiopie, sombre et profond comme je les aime.
Au final, 109 € pour deux, pour une cuisine presque entre amis, pleine de charme et d’inventivité, simple, franche, enlevée et sans complexes, c’est du bonheur à la petite semaine, du plaisir à bon compte, l’unanimité des appétits.
Spring, en anglais c’est la source, un jaillissement, le commencement d’une aventure. En français, c’est la table sans doute la plus improbable de l’année. Et l’une de ses meilleures surprises. Alors ne tardez pas à vous y précipiter, la rumeur se répand et les délais de réservation prendront sans nul doute bientôt des airs de voyage au long cours…
Spring
28, rue de La Tour-d'Auvergne
75009 Paris
Téléphone : 01 45 96 05 72
Menu unique à 36 €
Réservation indispensable
C'est bientôt midi…j'aim faim. Merci. Pour aujourd'hui, c'est un peu court mais je suis à Paris dans une quizaine !
Rédigé par : nina de zio peppino | 17 avril 2007 à 11:46
Ca je le note dans un coin pour y emmener mon Beau.. euh enfin un truc qui y ressemblera, à défaut un(e) ami(e).
Rédigé par : Frogita | 17 avril 2007 à 12:27
Waou ... ton post me fait très envie ! Surtout ça a l'air très intimiste comme endroit et comme cuisine. Un resto à essayer d'urgence. Je vais glisser le nom et l'adresse à mon beau puisque c'est bientôt mon anniversaire ! Merci pour ce post plein de saveurs.
Amicalement.
Flower
Rédigé par : Flower by Kenzo | 17 avril 2007 à 16:29
tout à fait le genre de restaurant qu'on s'est fait mon mari et moi ces derniers 4 jours en Haute Provence...
J'adore ce concept de menu unique, établi sur base des produits "du jour" et de l'inspiration du Chef !
Je note cette adresse parisienne en tout cas !
Et bonjour à ta Belle, dont tu parles beaucoup aujourd'hui, on savait que tu avais une Belle, mais on ne savait pas qu'elle était Belle à ce point là ! ;)))
Amitiés
Rédigé par : Poutchi | 18 avril 2007 à 13:28
Depuis le temps que j'ai envie d'y aller !
Rédigé par : Fabienne | 18 avril 2007 à 22:35
Je m'excuse platement de mes idées reçues, et m'en vais maintenant rêver de velouté de carottes servi par David Duchovny...
Rédigé par : gé | 10 octobre 2007 à 01:30
J'ai adoré !!! Vraiment une super adresse avec un rapport qualité prix absolument imbattable !
Seul défaut, le chef ne sait pas se vendre. On aurait aimé un peu plus de blabla quand il pose les assiettes sur la table. Pareil pour les vins.
Rédigé par : Thomas Clément | 29 février 2008 à 19:14