Ce sont nos amis de toujours. On a connu ensemble le temps des mariages, des fleurs blanches et des robes en soie. Des retrouvailles sur de vagues parkings improvisés dans les champs, autour d’un buffet, en chignons et chapeaux, les boutons de manchette impeccables, les cravates radieuses. Et un jour, sans prévenir, vient le temps des couronnes, des larmes et de l’encens oscillant sur le bois ciré enfermant un parent disparu. C’est le temps en marche. Celui qui, de loin en loin, vous rappelle à votre condition. Vous indique sans trompe-l’œil le bout du chemin.
Dans l’église, on pleure les morts mais ils sont déjà au-delà de nos larmes. En vérité, on embrasse la peine de ces amis chers car leur tristesse se partage comme ils ont partagé avec nous leurs plaisirs et leurs rires. On ne dit rien, on ne trouve pas les mots. On se regarde alors avec intensité, tentant de faire passer dans ce regard toute la compassion dont on est capable. On redevient des corps, on se serre, on s’enlace, on se passe la main dans le dos avec vigueur, on serre d’une main ferme un bras, une épaule, comme pour transmettre un peu de notre force à ceux qui sont éprouvés et que l’on aimerait tant réconforter. On voudrait ne rien laisser paraître de notre trouble mais il n’y a pas d’artifice qu’une larme ne dissolve.
Dans l’assistance des cheveux gris attendent leur tour, fatigués de voir un à un partir leurs amis avant eux. Bientôt nous serons comme eux. Les poèmes et les textes lus par les enfants et les proches, d’une voix qui se noue en réprimant quelques sanglots, nous bouleversent. Les voici donc partis, nos pères. L’un après l’autre ils quittent la scène. Nous voici tous, si jeunes, déjà un peu orphelins. Alors on baisse la tête dans la faible lueur des cierges, on chante sous les orgues, on s’accroche à un rite, une communion. Mais les questions viennent. Que diront de nous nos enfants en requiem ? Que leur laisserons-nous en héritage ? Qu’auront-ils à raconter, à se remémorer lorsque nous ne serons plus là ? Quels vestiges pour une vie entière ?
Au fond du chœur sur d’immenses tableaux aux couleurs passées, assombris par les ans, de carmin, de vermeil et de bleu profond, se figent des géants bibliques. Ils nous écrasent de leur destin mémorable. Alors, tête baissée, le regard vide posé sur ces dalles de pierre rongées qui ont vu défiler des siècles de chagrin, on se tait. On ne voudrait plus penser.
C’est fini. Des enfants courent dans les allées vers la vaste porte qui s’ouvre de nouveau à la lumière aveuglante. Ils dévident le fil des jours ininterrompus d’une vie qui continue. Coûte que coûte. Un ange passe. Une cloche sonne. La messe est dite. Nous voici rendus à nous-mêmes.
Illustration : Sérénité (Henri Martin - 1899)
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Rédigé par : LoveSand | 16 janvier 2009 à 18:09
-"on se serre , on s'enlace..." Voilà le devoir de ceux qui restent...
Je vous embrasse pour tous ces mots merveilleux....déjà trop vécus hélas ...
Rédigé par : françoise | 16 janvier 2009 à 19:15
L'espoir est toujours tout ce qu'il reste.
Merci Gentleman, mille merci pour un souffle de poèmes....
Rédigé par : LoveSand | 16 janvier 2009 à 20:36
Merci pour ce texte tellement touchant.
Bien que la vie nous réserve à tous la même issue, impossible de s'habituer à la douleur de voir partir un proche.
PS: J'ai découvert votre blog il y a quelques mois et suis devenue une lectrice attentive.
Rédigé par : delphine cossais | 20 janvier 2009 à 20:18
Il faut habituer nos enfants et nous même à ne pas oublier ceux qui partent, ils seront toujours là en pensée, au travers d'un objet, une photo. Nous devons transmettre, les souvenirs, les rites, apprendre le respect.
Avoir une mémoire joyeuse et non étouffante.
Rédigé par : Christian | 21 janvier 2009 à 12:35
Et la tradition de La Table est, en ce sens si importante, car on s'y retrouve en famille, entre amis, il s'y crée des souvenirs, des liens que l'on se racontera des jours et des années après.
Rédigé par : Christian | 21 janvier 2009 à 12:37