Thierry Dancourt a lu Modiano, c'est une évidence. Son premier roman, Hôtel de Lausanne, distille une atmosphère étrange, douce-amère, comme suspendue, qui évoque immanquablement l'auteur de la Place de l'Etoile.
Daniel Debaeker exerce le métier peu courant de chasseur d’objets rares pour de riches collectionneurs. Un matin venteux d’automne, il rencontre par hasard, sur le banc d’un cimetière, Christine Stretter, une jeune femme mystérieuse et fantasque. Immédiatement séduit, il la suit et pénètre peu à peu son univers, entre une mère disparue, un père collectionneur de mappemondes et un fiancé fou de cinéma, assistant réalisateur et chroniquement absent. Une étrange relation va alors se nouer entre les deux jeunes gens, une relation qui ne dit pas son nom et dont on comprendra in fine qu'elle fait écho à des événements survenus il y a bien longtemps, une relation faite d’échappées successives dont les hôtels de Paris et de Province deviendront le théâtre intime. Une relation vécue comme une longue errance.
Car Hôtel de Lausanne est un roman aux multiples vagabondages.
Errements entre les personnages, tout d’abord. Enigmatiques, passagers, ils recèlent tous leur part de mystère, un ancien professeur de danse habitué des bistrots, un mystérieux acheteur d'antiquités belge, une mère dont on ne parle pas, un inquiétant collectionneur, possesseur de fauteuils Royère et surveillé par la police marocaine, ainsi que toute une galerie de seconds plans, gardien d'hôtel, chauffeur de taxi, patronne de bar, remarquablement esquissés de quelques mots.
Promenade dans des paysages très soigneusement topographiés, ensuite. La géographie de Thierry Dancourt, très présente dans le livre, s’étend de Paris, avec ses larges avenues (toujours précisément nommées), ses immeubles bourgeois, ses jardins à l’abandon et ses cafés sans âge, à Casablanca avec son front de mer, son architecture coloniale et sa chaleur irrespirable, en passant par quelques villes de Province. Les deux protagonistes principaux entretenant par ailleurs une passion étonnante pour les voyages immobiles à travers les livres (« Elle s’était étendue sur le lit, Blois, Ville royale à la main. Elle en lisait un passage à voix haute tandis que je regardais par la fenêtre. »)
Mais vagabondage des sentiments surtout, puisqu’une totale liberté, une insouciance absolue et presque désespérée semblent caractériser les rapports entre Daniel et Christine. Une Christine troublante, mal dans son époque, dont on ne comprend jamais vraiment toutes les attitudes. Un Daniel en demi-teinte, hésitant, fataliste, traînant tout un monde disparu avec lui (« Il s’était tiré une balle dans la bouche un an auparavant presque jour pour jour dans son appartement du Quai Voltaire. […] C’est à lui que je pensais, Henry de Montherlant, alors que nous suivions l’avenue Raymond-Poincaré, laissant derrière nous la rue Lauriston »).
Ce premier roman dit la subtilité des sentiments, l’étrangeté des choses les plus banales, les liens invisibles et forts entre passé et présent. Il dit tout cela avec douceur et élégance. Une grande partie de son charme réside d’ailleurs dans l’atmosphère que Thierry Dancourt réussit à y installer, les vides laissés volontairement dans les caractères, les situations, les zones d'ombre cernant les événements, laissant ainsi libre cours à l'imagination du lecteur pour compléter le tableau et improviser ses propres harmonies sur la trame mélodique du récit lui-même.
Hôtel de Lausanne, qui a reçu en novembre dernier le Prix du Premier Roman 2008, est un livre fort réussi, évanescent, tout en creux, comme une brume de petit matin, une fumée de cigarette tenue par de longs doigts de femme aux ongles rouges. Une femme qui s’appellerait Christine Stretter.
Hôtel de Lausanne
Thierry Dancourt
La Table Ronde
175 pages - 18 €
Beau texte, qui donne envie de découvrir cet hôtel. Et puis quelqu'un qui aime Modiano ne peut pas être tout à fait mauvais...
Rédigé par : Vincent | 17 mars 2009 à 19:27