C’est une charmante petite curiosité que viennent de rééditer les éditions de la Musardine sous le titre de La Comtesse au fouet. On connaissait à ce récit érotique sadomasochiste écrit en 1908 d’autres noms, Belle et Terrible ou L’homme-chien et c’est sous ces diverses appellations qu’il fut condamné plusieurs fois par les tribunaux entre 1950 et 1954, alors même que son auteur entrait à l’Académie Goncourt ! Car c’est tout le sel de ce petit ouvrage que d’être en réalité l’un des premiers récits écrits par celui qui devait devenir un romancier important du XXème siècle, Pierre Mac Orlan. On sourit alors sous cape de lire ce qui fut sans doute un ouvrage de jeunesse publié sous son véritable nom par Pierre Dumarchey. Il faut noter au passage que le « goût » de Mac Orlan pour les récits masochistes ne s’émoussa pas avec les années et que des « Grandes flagellées de l’histoire » à « La semaine secrète de Vénus » il continua à publier, le plus souvent sous pseudonyme, dans le domaine érotique pendant de longues années.
Et il est vrai que dans une production sadomasochiste pléthorique pour l’époque, La Comtesse au fouet se distingue par des qualités de style et de narration qui laissent entrevoir le talent du futur académicien, décoré de la Légion d’Honneur et auteur du « Quai des brumes ».
Nous voici donc à Saint-Petersbourg où, à peine sortie du couvent, Melle Maria Nicolaievna va nouer avec sa gouvernante française, Melle Suze, une relation fondée sur le plaisir de la soumission. Très vite, la jeune fille « à la féminité déjà provocante attirant sur elle les regards concupiscents de toute la jeunesse dorée fréquentant la perspective Newski », va faire la conquête et le malheur du Comte Carnoski. Leur mariage trouvant son accomplissement dans une nuit de meurtre où, en échange de deux coups de feu, Maria offrira sa virginité à son mari… Devenue veuve à force de sévices, la Carnoska exercera ensuite sur de multiples victimes plus ou moins consentantes, hommes comme femmes, son irrésistible penchant pour la flagellation. Ainsi donc, ce sont dans les multiples épisodes romanesques et la progression dramatique du récit que le talent de Mac Orlan, son talent de futur romancier, trouvera véritablement à s’exprimer. L’autre plaisir ressenti à la lecture de cet ouvrage est d’ordre stylistique et il faut reconnaître qu’en ce domaine, on sort ici du cadre stéréotypé et sans grand intérêt littéraire de la production habituelle. Le style est vif, léger, de belle facture, évitant avec élégance toute facilité vulgaire : « A pleines brassées, la Carnoska saisit tous les jupons dont les volants de dentelle couvrirent les épaules de Nadia d’une abondante neige, luxueuse et parfumée. » « Sous l’impitoyable cinglée de la verge, les reins se creusaient, les joues du derrière se contractaient pour subitement s’entrouvrir dans un épanouissement impudique de la croupe ». On y trouve même des références nietzscheiennes, somme toute assez rares dans ce type d’ouvrage !
Au milieu des figures imposées du genre, des rôles invariants de dominant à la cruauté affirmée autant que raffinée et de dominé trouvant dans la dévotion un plaisir honteux, il faut se souvenir de l’importance du fouet dans l’éducation des siècles précédents pour mieux comprendre la fascination que ces scènes ont pu exercer sur le public du début du siècle, fascination qui s’est perpétué jusqu’à nos jours. Avec quelques variantes.
La Comtesse au fouet
Pierre Dumarchey (Pierre Mac Orlan)
La Musardine
200 pages - 9,20 €
PS: Ce billet est la reprise d’un de mes articles du Magazine des Livres n°15 actuellement en kiosque.
Ah ah ah, la crème fouettée!
Rédigé par : Mamsand | 03 avril 2009 à 12:48
Je connaissais Pierre Mac Orlan pour ses récits de piraterie extraordinaires, "A bord de l'étoile matutine" (quel titre !) et son fameux "petit manuel du parfait aventurier" (une merveille). Je savais qu'il avait écrit des récits érotiques -je n'ai lu aucun, quelle erreur !- mais sans en soupconner la valeur littéraire ! Savais-tu qu'il avait aussi écrit de superbes chansons ? Pardonne mon enthousiasme béat mais Pierre Mac Orlan fut l'amour de mon adolescence attardée !
Rédigé par : Flora | 03 avril 2009 à 23:21