Il y a chez lui de cette élégance intemporelle, que l’on croyait éternelle et que l’époque consciencieusement assassine. C’est que cet homme ne vit pas vraiment dans le monde. Il habite à l’écart du tumulte, dans une belle maison sans âge, cachée sous les arbres et la pierre de taille. Il n’a pas de téléphone mobile, pas d’email, même pas de montre, presque pas d’agenda. Comme si, finalement, c’était le monde qui n’avait pas de prise sur lui. Comme si la liberté était en lui entrée en résistance, manifestant son caractère par d’infimes détails.
Quand on pénètre en son domaine, on remonte le temps et les allées d’une France au parfum de violette et de tradition. Dans ce petit bureau dont les meubles de style disent l’histoire, encombré de livres et de papiers, dans la chaleur des tapis et des banquettes aux tissus fleuris, on replie l’époque pour se livrer aux plaisirs discrets de la conversation.
Il vous accueille en chemise bleu ciel et pantalon de flanelle grise, la peau cuivrée et marquée de profonds sillons, traces du temps et d’un tempérament. C’est le regard qui frappe le premier. Il loge dans ces yeux là (dont on a tant vanté le bleu d’azur liquide) une étincelle qui semble y vivre depuis l’enfance et que rien de ce que la vie réserve de bienfaits et de mélancolies n’a pu atténuer. Ce regard qui vous accroche avec franchise a toujours quatorze ans. Difficile de croiser le fer avec ces yeux qui se sont déjà posés sur tant de gens illustres. De serrer une main qui a décroché le téléphone pour y entendre Morand comme Mitterrand. Difficile de ne pas penser que l’homme assis en face de vous a côtoyé Aron comme Aragon, vécu l’édition avec René Julliard et Claude Gallimard, et siège sous la coupole entre Levy-Strauss et Jacqueline de Romilly. Il y a de quoi être intimidé.
Alors, heureusement, vient à votre rescousse la délicatesse des manières. Une gentillesse sincère et désarmante. Le souci des autres qui chez lui s’accommode si bien du souci de soi. Et quand il vous propose une boisson c’est toute une carte de brasserie qui se déploie : un café ? un thé ? un whisky ? un porto ? un verre d’eau ? Et ne rien accepter le désole. Il a cette simplicité passionnée qui vous épargne tout ridicule lorsqu’il cite des auteurs que vous n’avez jamais lus, et énumère l’air de rien des souvenirs de lectures remontant jusqu’à la Grèce antique. Il n’accroche pas son immense culture à son revers comme une médaille d’orgueil.
Il vous parle avec de grands gestes, sans jamais baisser les yeux, hésite à vous prendre par le bras quand l’enthousiasme l’emporte, rit en pouffant de ces anecdotes qu’il a pourtant déjà racontées cent fois, roule et déroule entre ses doigts sa cravate de laine marine. Il parle de ce qui fait sa vie, ses livres, ses lectures, ses voyages, ses plaisirs – le sommeil, le bateau en Grèce, la Corse sous le soleil, Venise, ses retraites italiennes, sa fille et le bonheur d’être grand-père –, ses adieux à la littérature trois fois renouvelés avec la même sincérité.
Un homme charmant. En écrivant ces lignes, m’est revenu en mémoire ce qu’André Fraigneau disait de Cocteau et de Giraudoux : « J’ai connu de ces enchanteurs dont le prestige personnel accentuait le charme des œuvres, dont la présence, le geste, le regard, la voix, dégageaient à bout portant le même fluide qu’à travers la durée et l’espace, leur style de créateurs. Ils pavoisent, disparus ou vivants, mon souvenir ébloui aux couleurs variées de la séduction française. » Ce jour-là, j’ai, moi aussi, rencontré l’un de ces enchanteurs.
Dommage que la lecture de cet excellent texte ne prenne pas une heure, pour en prolonger le plaisir et retranscrire la durée de l'entrevue.
Il manquerait peut-être, mais c'est une frustration bien minime, créée par l'élégance du reste, un mot ou deux sur sa voix.
Rédigé par : la flore et la faune | 27 octobre 2009 à 15:47
Exquis...
Rédigé par : Sand | 27 octobre 2009 à 22:03
Quel personnage ! et quel privilège de l'avoir rencontré...
Rédigé par : Kaplan | 28 octobre 2009 à 11:43
Belle heure partagée par vos écrits sans partager ses opinions cet homme est vraiment immortel.Elegance, courtoisie dans le geste, la pose, le regard et vraie cette voix violonneuse qui vous porte les notes en presto et prestissimo. Les paupières parfois tombantes réflétent au mieux un regard pétillant d'intelligence. Comme j'aurais aimé être à votre place, j'aurais eu, comme si rarement, l'impression de repartir plus intelligent. Merci de ce bon moment
Rédigé par : Jean-Louis | 28 octobre 2009 à 17:02
Quel bonheur de rencontrer cet homme : je vous envie mais pas vraiment, je sais que je serais pétrifiée d'admiration. Très beau portrait.
Rédigé par : Miss Zen | 31 octobre 2009 à 22:22
Ce que j'admire chez lui : sa jeunesse...
Rédigé par : Les yeux fermés | 19 novembre 2009 à 01:03
Ah mais je l'ai reconnu... C'est l'ami de Chateaubriand... "Qu'il a bien connuuuu LOL
- Je découvre votre blog, quelle chance d'avoir connu D'Omerson dont j'admire toujours la joie de vivre.Rencontrer un tel homme c'est rencontrer "l'incroyable' de Léo Ferré
A bientôt... Claire
PS: Je me suis empressée de copier vos liens sur les petits restaus des alentours de Paname... Histoire de lui donner des idées à ma petite-fille(30ans)Des fois qu'on iraient a Chatou...
Rédigé par : Claire | 07 mars 2013 à 10:12