La passion née en 1929 entre Pierre Drieu la Rochelle et Victoria Ocampo sera d’une intensité incandescente et d’une brièveté d’étoile filante. Elle se muera par la suite, au gré des allers-retours entre Paris et Buenos Aires, en une tendre complicité, une amitié de bois flotté, solide et résistante aux tempêtes, qu’elles soient littéraires, politiques ou financières. Cette relation à part dans la cohorte serrée des femmes séduites par Drieu durera une quinzaine d’années et ne trouvera de terme définitif qu’à la mort de l’auteur du Feu Follet. Quinze années au cours desquelles les amis-amants ne cesseront de s’écrire leur vie, leurs pensées et leurs états d’âme. C’est cette correspondance (ou ce qui en a été retrouvé) que les Editions Bartillat, sous la houlette de Julien Hervier, ont la bonne idée de publier.
Une centaine de lettres (86 pour Drieu la Rochelle et seulement 16 de Victoria Ocampo) composent ce recueil qui porte témoignage de ces rapports tumultueux et profonds entre l’écrivain maudit et l’intellectuelle argentine. Tous les sujets y sont abordés : la littérature bien sûr (« Je trouve mesquin le livre de Gide, comme tout ce qui sort de cette braguette de ladre »), la philosophie (qui n’est manifestement pas la tasse de thé de l’auteur de Gilles), la poésie, mais aussi les inévitables potins de la vie parisienne, l’actualité des spectacles, opéras et expositions fréquentés par Drieu.
Sur un plan plus personnel, ils y évoquent leurs sentiments, l’argent qu’elle lui envoie et qu’il lui réclame sans complexes (« Le secours est arrivé à point, au moment où ma propriétaire commençait à brailler ferme »), le sexe sans tabou (« J’espère que tu fais l’amour et que tu y trouves cette saveur douce amère d’adieu. ») Et la politique bien sûr, zone irritable s’il en est, entre un Drieu hésitant entre communisme et fascime et une Ocampo terrifiée par les désastres qu’elle pressent (« Il nous faudra trouver autre chose sinon nous sauterons tous, crois-moi »). La Guerre d’Espagne sera leur champ de bataille.
Le lecteur de cette intimité aura aussi le privilège de recueillir à la source le sentiment de Drieu sur certaines de ses œuvres phares (du Feu follet il commente : « Il est court et me vaudra bien des ennemis, car j’y fais une peinture sévère de bien des saletés de Paris et d’ailleurs ») et d’y suivre ses travaux littéraires au fur et à mesure de leur « fabrication ».
C’est le propre des correspondances que de mettre au jour et de ramener les personnages mythiques à une forme d’essentiel, tiré du quotidien et de l’abri supposé de la confidence. Drieu apparaît donc ici comme un être incertain, tourmenté (il alterne le « tu » et le « vous » de manière surprenante), aux idées politiques brouillonnes, grand dépensier, se présentant tour à tour sous un jour favorable quand l’amour brille encore entre eux ou plus méprisable quand la relation n’a plus besoin des faux-semblants de la séduction et qu’il peut sans crainte céder à son penchant pour l’autodénigrement (« C’est là que je sens vraiment ma médiocrité »).
Mais au-delà de l’intérêt historique, c’est aussi à un excitant bain de style que ce volume nous convie. De ce style si remarquable que Drieu pratiquait visiblement en toutes circonstances : « Je suis plongé dans un bain d’amertume. A un certain âge, tout prend l’aspect de la fatalité. » Et Victoria n’est pas en reste : « J’ai pleuré après avoir lu ta lettre. Il me semble que je t’avais perdu au milieu d’une foule et que je viens de te retrouver. »
Ce que l’on voit se dessiner au long cours de ces échanges épistolaires,
c’est une exceptionnelle complicité, la relation particulière d’un amour qui
même défunt ne dit pas son nom, un attachement plus fort que les bourrasques
ayant traversé leurs deux êtres et malmené le siècle. Des liens puissants que
seule une balle saura rompre. Ainsi, la dernière lettre que Drieu adressera à
Victoria en 1944, peu de temps avant de mettre fin à ses jours de la manière
que l’on sait, se terminait par ces mots « J’aurais aimé te revoir ».
Lettres d’un amour défunt
Pierre Drieu la Rochelle – Victoria
Ocampo
Bartillat
249 pages - 25 €
Chroniques tristes d'un plaisir défunt. Accord avec ce ciel cendreux plombé de printemps en retrait d'un temps.
Et ces notes qui résonnent dans ma mémoire:
"Amour des feintes
Des faux-semblants/
Amour des feintes
Au présent
Et l'on s'étreinte
Hors du temps
Et pourtant maintes
Fois l'on tend
A se maintenir longtemps
Le temps ne peut-il s'arrêter
Au feu de nos passions
Il les consume sans pitié
Et c'est sans rémission
Amour des feintes
Des faux-semblants
Infante défunte
Se pavanant
Couleur absinthe
Odeur du temps
Jamais ne serai
Comme avant..."
Rédigé par : m-alizarine | 09 mai 2010 à 19:43
À lire après "Drieu", le bouquin de Victoria Ocampo que les mêmes Éditons Bartillat ont fait paraître il y a deux ou trois ans.
Rédigé par : AdoréFloupette | 10 mai 2010 à 09:53