Chroniques du Plaisir: Au hasard et souvent, de Sébastien Lapaque

C’est un de ces petits livres essentiels que l’on voudrait offrir à tous ses proches. Le genre d’ouvrage qui, une fois refermé, vous donne le sentiment d’avoir grandi en intelligence et, plus essentiel encore, en humanité. C’est que Sébastien Lapaque, écrivain, chroniqueur au Figaro Littéraire, mais surtout esprit libre, entretient avec l’époque des rapports tumultueux et lucides. Il ne s’enivre jamais de l’air du temps, trop conscient du vent de l’histoire et des grandes tempêtes du passé. Hormis, peut-être, son goût pour les vins de copains et les cuisiniers béarnais, ses inclinaisons ne sont pas très en vogue dans la France des parachutes dorés : la poésie (Toulet, Pirotte, Lautréamont…), Gramsci, la Grèce, Bernanos, la religion chrétienne, George Orwell, l’esprit de Port Royal et, bien sûr, La princesse de Clèves.

A la demande de l’hebdomadaire Témoignage Chrétien, cet écrivain catholique aux penchants anarchistes a tenu durant l’année 2009 un journal qui sert aujourd’hui de colonne vertébrale à son dernier livre. Complété de réflexions, citations et articles du Figaro, Au hasard et souvent prend le relief d’un manifeste incident, préférant le bonheur de l’intelligence tranquille au délire de l’abandon aveugle au progrès. Le regard que Sébastien Lapaque porte sur la société française, l’économie mondialisée, l’identité nationale, la langue sarkozienne ou les réseaux sociaux est rafraîchissant de bon sens et de pertinence.

Il puise son acuité dans une culture classique sans défaut (on rêve d’en posséder le dixième) qui fait entrer en collision de manière jouissive les époques et les thèmes. On y trouve ainsi une critique du désir forcené de richesse à la lumière de Bossuet, l’analyse de la situation algérienne sous le patronage de Tertullien ou le débat sur le travail du dimanche commenté dans le sillage d’Albert de Mun. Mais n’allez pas croire qu’il s’agit ici d’un ouvrage d’érudit, poussiéreux et mortel d’ennui, bien au contraire ! On y parle aussi de rugby, de gastronomie, du bleu du ciel, du Brésil et de Stefan Zweig. Et si l’ouvrage s’ouvre sur une correspondance entre Sébastien Lapaque et Gérard Oberlé en latin (si, si, ces choses-là se produisent encore), il se conclut sur une passionnante question, traitée avec humour : Comment ranger sa bibliothèque ?

Pour son ton, la diversité de ses sujets et le rappel de lectures essentielles, il faut ouvrir ce livre régulièrement afin d’y picorer une dose salutaire d’anticonformisme. L’ouvrir au hasard et souvent.

Au hasard et souvent
Sébastien Lapaque
Actes Sud
170 pages
18 €