« Je repensais aux femmes. Je les enviais. Dans notre société, le statut de défavorisé semble attirant. Que reste-t-il aux hommes de nos jours ? Ils ont déjà tout. » Sept hommes de la bonne société californienne, médecin, professeur, psychiatre, sportif professionnel, se retrouvent l’espace d’une soirée pour inaugurer « Le club », une réunion masculine informelle, sans objectif précis autre que l’échange, la discussion à bâtons rompus. Cela commence donc par des verres de vin vidés, des joints roulés, des blagues un peu grasses au dessus des assiettes de charcuterie et plus le récit avance, plus la nuit avance, plus les visages gagnent en gravité, les fêlures se manifestent, l’insatisfaction de leurs vies masculines apparaissent au grand jour. Enfin, la nuit se terminera, dans les reflets du petit jour, sur un déchainement qu’on ne dévoilera pas. C’est sur la trame de cette histoire simple que Leonard Michaels a écrit en 1981 ce premier roman, d’une profonde justesse, qui laisse à voir par petites touches, au fil de situations saisissantes, la détresse de la conscience masculine redéfinie par les femmes. Car lorsque ces hommes se mettent à raconter leur vie, à se livrer sans fausse pudeur, c’est vers les femmes que tout les ramène : les épouses, les maîtresses, les regrettées, les ratages complets. On les écoute alors parler d’amour, de sexe, de mariage, d’adultère, sans faux-semblants (« Une femme rend l’existence d’une autre nécessaire. Je me rendais à des fêtes avec Aphrodite et je reluquais toutes les autres femmes de la pièce. Je me sentais piégé pour la soirée. »). « Le club » est avant tout un portrait saisissant des rapports hommes-femmes, du couple, de l’adultère banalisé, des crises de nerfs dans lequel tout un chacun reconnaîtra des éléments de sa propre vie. Car de ce livre d’homme ressort en creux un portrait des femmes contrasté, violent, provoquant et souvent touchant. C’est aussi avec un profond sens de l’anecdote et du dialogue maîtrisé que Leonard Michaels nous fait ressentir dans cette compagnie d’hommes la connivence, les rapports de force dans le groupe, les amitiés sélectives, les injonctions, les disputes, la violence de certaines remarques, le désarroi de certaines attitudes. L’auteur y fait preuve d’une véritable et exceptionnelle profondeur dans l’analyse psychologique (« Ce qu’on aime le plus chez les autres, c’est ce qu’ils ne savent pas sur eux-mêmes. ») et réussit une merveille d’équilibre, entre humour et gravité, dégoût et sympathie, drame et farce. Saluons au passage la traduction de Céline Leroy qui a su rendre la justesse, la beauté et la précision de sa langue. Un véritable coup de foudre littéraire ! Auteur culte aux Etats-Unis, mort en 2003, Leonard Michaels peut être redécouvert chez Christian Bourgois à travers son second roman « Sylvia » et un recueil de nouvelles « Conteurs, Menteurs » parus en janvier 2010.
Le club
Leonard Michaels
Editions Christian Bourgois
164 pages - 13 €
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