Le rendez-vous exhalait un léger parfum d’extravagance. De la veille pour le lendemain, quand il faut habituellement débroussailler à la machette un agenda aussi touffu que la forêt d’Amazonie avant d’y dénicher une place au soleil, dans une épicerie-comptoir, alors que mon comparse de l’occasion boxait plutôt dans la catégorie nappes blanches et argenterie, fussent-elles contemporaines, et avec, pour achever de piquer la curiosité, un invité énigmatique. Le tout bouclé par SMS en moins de deux minutes : « dîner avec A. demain soir, ça te dit ? »
A. Je l’avais déjà croisé à plusieurs reprises. Le plus souvent avec d’autres amis, dans de profonds fauteuils où le dos aime à se courber comme un chat que l’on caresse, autour des meilleurs champagnes (c’est lui qui les choisissait la plupart du temps), et régulièrement entouré de jeunes et jolies créatures aux bruyants bijoux. Toujours cravaté et rasé de près, il avait la poignée de main et le sourire francs, vous regardait dans les yeux en vous adressant la parole et savait vous mettre à l’aise en deux mots.
Alors pourquoi rameuter la troupe à la nuit tombée dans une rue piétonne du quartier des Ternes pour une banale épicerie ? Décidément, A. était bel et bien une énigme.