Le hasard des rencontres vous réserve parfois de surprenants petits bonheurs, comme celui que j’ai eu d’assister récemment à un très étonnant déjeuner autour de nourritures « canailles » au Violon d’Ingres, chez Christian Constant.
Comment en effet résister au plaisir d’un rendez-vous convoquant à sa table jolies femmes, amateurs de bonne chère, beaux esprits, chefs talentueux, le tout placé sous la double bénédiction de la cuisine et de la littérature ?
On célébrait en effet ce jour-là la sortie du livre « Des Tripes et des Lettres », co-écrit par Sébastien Lapaque, critique littéraire au Figaro, fin bretteur des lettres et du vin, pour la plume et Yves Camdeborde, d’Artagnan élégant, star de la bistronomie parisienne, tout à la fois gaillard et subtil, pour le goût.
Ce petit livret, habile et jubilatoire, tout à la gloire des produits tripiers, rassemble 8 recettes d’Yves Camdeborde illustrées de 8 textes écrits « à la manière de » par Sébastien Lapaque. C’est ainsi qu’on y croise le talent de Proust, Rabelais, Hemingway, Mme de Sévigné, Céline ou Simenon et qu’on y cuisine avec inspiration les beignets de cervelle, le tablier de sapeur, le foie de veau en papillotte, la panse de bœuf ou les couilles d’agneau sautées… Tout un programme !
Il y a d’ailleurs quelque-chose de réellement fascinant dans la triperie. Elle a traversé les âges et nous renvoie directement à notre condition d’homme, de mangeur, à la faim, nous tire jusqu’au Moyen-Age et fait le grand écart entre les produits les plus humbles, les plus « populaires » (la tripe) et les mets les plus nobles (les ris), en passant par toutes les excentricités culinaires possibles (les préciosités, pour ne pas dire les testicules). Si terriblement masculin, le mangeur de produits tripiers semble tirer un trait sur sa propre civilité, il mange le nez, la langue, les oreilles, l’estomac, les pieds, le goinfre n’est pas loin, mais tout comme le Seigneur de la table, car tous semblent pouvoir se rassembler autour de la tripe, rois et gueux, dans leur condition la plus trivialement humaine.
Pour moi, la triperie c’est aussi un sentiment multiple où se mêlent les souvenirs d’enfance (la cervelle au beurre, juste poêlée, le foie de veau épais, rose et vinaigré), de franches transgressions loin du diététiquement correct (rognons grillés entiers, frites croustillantes et béarnaise de compétition) ou de repas d’exception (la tête de veau de Jean-Pierre Vigato dans son hôtel particulier, chez Apicius). Tellement d’impressions diffuses et couvrant tout le spectre des plaisirs de la table, du plus basique au plus raffiné…
Pour l’occasion, et en hommage à ces produits tripiers que l’on délaisse si souvent à tort, par méconnaissance ou par paresse, on fit honneur à un menu à quatre mains de maître, concocté par Yves Camdeborde lui-même et Christian Constant, chef mythique dont il fut l’élève, avant de venir l’ami, aux Ambassadeurs (Hôtel de Crillon).
En générique et sans entrer dans les détails, « Velouté léger de lentilles, pressé de langue de bœuf au foie gras », « Groin de cochon pané, croustillant de tétine en ravigote », « Tranche de foie de veau panée rôtie, garniture Vatel » et « Tarte au chocolat Stéphane Schmidt » tous traités avec intelligence, imagination et subtilité par ces deux chefs d’exception, un régal gourmand, parfois très étonnant (le groin, la tétine) mais toujours délicieux.
Au menu également quelques lectures des textes du recueil « Des Tripes et des Lettres » par Francis Perrin, pour la touche littéraire et le plaisir de l’oreille.
Je vous en livre, en guise de conclusion, deux passages, enregistrés vite-fait (mieux vaut les écouter au casque) mais qui, je l’espère, rendent grâce aux talents de l’auteur et du comédien.
A la mode de François Rabelais
A la mode de Louis-Ferdinand Céline
Des Tripes et des Lettres
Recettes Yves Camdeborde, Textes Sébastien Lapaque, Illustrations Tinou le Joly Sénoville
Editions de l’Epure – 12 €
Ce livre était sur ma "wish-list", il me faisait saliver d'avance... Vous avez achevé de m'ouvrir un appétit XXL... Je me suis mis à la tripaille sur le tard. Sont venus dans l'ordre andouillette, pieds de porc, ris de veau et d'agneau, foie de veau... Je suis quasiment prêt pour les rognons. Une adresse où m'initier?
Rédigé par : Benoît Wagner | 22 octobre 2007 à 18:26
Benoît > Sans hésitation, commencez par le Ribouldingue, 10, rue Saint Julien le Pauvre dans le 5ème (01 46 33 98 80). Deux femmes aux commandes dont une ancienne de Camdeborde (Nadège Varigny) et un jeune chef de 24 ans, Sarah Baraudon, passionnée par les abats. Un menu clément à 27 euros et une carte des vins superbement profonde. Vous êtes encore là ?
Rédigé par : Thierry Richard | 22 octobre 2007 à 18:41
Si je suis encore là ? Et comment ! Merci pour l'adresse. Quand vous voulez pour parler volutes...
;-)
A propos d'abats, il y a à Neuilly, pile à la sortie du métro Pont-de-Neuilly, un café-tabac tout bête, A La Coupole d'or. Aux fourneaux pour une cuisine du marché : Hervé. Foie de veau, tripes, pièces de boeuf en pleine santé ou poulet de Challans pour le classique (autour de 14 - 15 euros) et du pavé de boeuf sauce cacao ou un tartare aux cèpes et bolets quand il déboutonne sa chemise. Ses portions de lasagnes font "580 grammes par personne" (il les a pesées). Pas light, mais sincère comme un bon pote.
Rédigé par : Benoît Wagner | 22 octobre 2007 à 18:57
Je déteste les abats, ça c'est dit! berk, enfin, il ne faut jamais dire jamis fontaine je ne boirais pas de ton eau paraît-il?! Mais vu que ma réflexion est très légère, je ne dirai rien en cet instant de grand néant et de troubles persistants.Par ailleurs, je viens de me prendre un bon grand rire comme un bon grand rhume de saison d'automne et malgré tous ces abats, c'est un grand débat en perspective car me faire rire aujourd'hui, il fallait le faire, je vous assure et je vous rassure Cher Ami, merci grand Merci sans réflexion car comment réfléchir sur tant de mystères et d'ambiguités si tenaces que je me délasse à sourire à tout vos dire et ça fait vraiment du bien, merci grand merci Thierry, vous êtes....bien réchauffant!
Rédigé par : Sand | 22 octobre 2007 à 20:11
hé hé, voilà un titre de livre que j'adore. Je tuerais rien que pour ces mots... (l'auteur, si possible, pour m'approprier ses mots) quant aux tripes, j'avoue que je ne les cuisine pas tellement. ça doit être un tort. (et faire un fumet avec les bardes de coquilles saint jacques, ça compte comme tripes?)
Rédigé par : lili violette | 22 octobre 2007 à 23:02
Hello les T et les L ! Je raffole des coquilles Saint-Jacques juste poêllées au beurre avec une petite persillade, comme entrée, ça ouvre un appétit certain!Pour les abats, toujours pas, mais une petite Dame Blanche au dessert, Hé..., pour le plat et bien chut c'est encore un secret qui réuni Saints et Dames à la fois, pas foie FOI!
Rédigé par : Sand | 23 octobre 2007 à 07:20
Pour moi les triperies c'est un truc qui sent mauvais dans la poil mais que mon grand-père adore...
Ouais je sais c'est nul.
Rédigé par : Mlle E | 23 octobre 2007 à 09:13
moi je les adore...... rognons (de veau ou d'agneau uniquement, ceux de boeuf sont trop forts), foie de veau, ris de veau, pied de porc, mais également museau (un bon museau vinaigrette...........), par contre je n'ai pas souvenir d'avoir goûté la cervelle, ça je ne suis pas certaine d'aimer..........
Rédigé par : poutchi | 23 octobre 2007 à 10:53
"si tu bouges(...)je te mettrai les tripes à l'air et je te couperai les oreilles"
louis Aragon
Rédigé par : brigitte | 23 octobre 2007 à 11:57
Je prends "les lettres" et je laisse "les tripes"....Non, non, n'insistez pas!
;-))
Rédigé par : Falbalas | 23 octobre 2007 à 15:02
Une fois de plus, félicitations pour votre style inimitable ! ça donne envie de se procurer l'ouvrage ! et s'agissant de Ribouldingue, ça fait quelque temps déjà qu'il est sur ma liste des "must try" parisiens.
Rédigé par : Kaplan | 23 octobre 2007 à 17:09
Benoît > Merci pour l'adresse. A priori j'ai convaincu les patrons du Guide pour lequel je travaille de me laisser aller le visiter. Qu'Hervé se tienne prêt à être déboutonné !
Sand, Mlle E, Falbalas > Effectivement, c'est bien la confirmation que la triperie n'est pas encore très girly...
Lili Violette > Tout à fait d'accord. Titre splendide qui vaut bien "La Tripe c'est chic !"
Brigitte > Joli plaisir que de voir Aragon cité dans ces lignes... La tripe, c'est poétique !
Kaplan > Merci, c'est vraiment gentil. Et oui, oui, oui, il faut aller au Ribouldingue !!!
Rédigé par : Thierry Richard | 23 octobre 2007 à 17:54
Tiens c'est intéressant ça, j'avais jamais pensé qu'effectivement dans la triperie il y avait des morceaux nobles et d'autres qui le sont moins - bien qu'étant tous aussi bons à manger. Comment expliquer une telle classification? Les representations culturelles sont parfois insondables - ou insondées (?).
Et comment expliquer cette mode depuis deux ans des tripes, les livres, les restaurants...
Cela dit, ça me ravit, c'est tellement bon. Et heureusement qu'au-delà des modes, il y a toujours eu des traditions régionales (lyonnaises entre autres) pour nous les servir.
Rédigé par : emmanuelle | 26 octobre 2007 à 23:50