Tranquillement, presque en sourdine, Sophie Brissaud, journaliste et écrivain culinaire, infatigable globe-trotteuse et tête chercheuse du goût, dessine avec ses livres le paysage de nos émotions gustatives.
Après « Palais Indien » et « La Table Végétale », elle nous livre aujourd’hui son dernier cahier de voyages gourmand, « La Table du Thé », qui rassemble en un seul ouvrage un tour du monde des thés, navigant du Japon à l’Inde en passant par l’Afrique du Nord, l’Asie du Sud-Est, la Russie, l’Iran, la Grande-Bretagne, la Chine, les Etats-Unis et j’en passe…
Mais comme toujours avec Sophie Brissaud, il ne s’agit pas d’un livre de cuisine ordinaire enfilant à la queue-leu-leu les recettes sur un thème unique comme des perles monotones sur un fil d’ennui profond mais bien d’un vrai travail de fond, une somme quasi-encyclopédique présentée avec talent et simplicité. Ainsi, « La Table du Thé » mêle des recettes accessibles à tous avec une présentation très didactique et savante des différents crus de thé de par le monde, de leurs divers modes de préparation, tout cela dans une mise en perspective historique, culturelle, bref de la nourriture pour l’esprit, aussi.
On parcourt donc toutes les couleurs du thé (thé rouge, thé noir, thé vert, thé blanc, thé jaune…), découvrant également les objets et rituels entourant ce breuvage (de la théière chinoise de Yixing au samovar russe en passant par le mug des Iles britanniques et le fouet de bambou ciselé chasen japonais).
Mais là encore Sophie Brissaud refuse la facilité, elle évite les lieux communs, les chemins mille fois empruntés et se plaît à nous montrer l’original, l’inattendu ou la petite découverte jubilatoire. Un exemple ? Concernant la Grande-Bretagne, elle nous épargnera une n-ième présentation du Five O’Clock Tea, de ses théières en argent et de son nuage de lait pour se concentrer, citant Joyce au passage, sur l’histoire du thé populaire, celui-là même qui accompagne l’ouvrier dans son Tea-Break ou qui constitue le compagnon quotidien solide et bien concentré des boutiquiers et des femmes au foyer britanniques.
Quant à la gastronomie, ne nous trompons pas, il ne s’agit pas ici de proposer quelques recettes à base de thé mais au contraire, comme on le fait déjà depuis longtemps pour le vin, de donner quelques repères d’accords mets et thés. Des croquettes de tomate à la menthe grecques accompagnées d’un Pu-erh vert, des bouchées de poulet au citron chinoises avec un Yin zhen au jasmin, des aubergines farcies aux noix géorgiennes avec un mélange caravane à base de Oolong fermenté, des nouilles de sarrasin au wasabi japonaises avec un Macha glacé… Un long périple de fine bouche aux multiples étapes gourmandes et savoureuses.
Et curieusement, pour aussi lointaines qu’elles nous paraissent, il faut souligner que toutes ces recettes ne font appel qu’à des ingrédients faciles à trouver et des thés que l’on peut aisément se procurer.
Un dernier plaisir enfin, et non le moindre, ce livre est magnifiquement illustré de photos d’Isabelle Rozenbaum qui sont autant d’invitations au dépaysement et à l’eau à la bouche.
Voilà, vous l’avez compris, Sophie et Isabelle vous invitent à la table du thé et franchement, vous auriez bien tort de ne pas vous y asseoir.
La Table du Thé
Sophie Brissaud – Photographies d’Isabelle Rozenbaum
Editions Minerva - 32 €
Quelques-unes des superbes illustrations d’Isabelle Rozenbaum (celle du début du billet est également d'elle) :
J'aime beaucoup votre exemple de la Grande-Bretagne. Le thé, ce n'est pas que Mariage Frères le samedi, en effet. Dans la même veine populaire, cela me fait penser au cigare de la rue, à Cuba, rugueux mais sincère, à mille lieues des dégustations cravate-cognac de chez nous. Replacer un produit, une saveur dans son histoire, ses contradictions, est nécessaire pour chasser les clichés et les approximations.
Rédigé par : Benoît Wagner | 12 novembre 2007 à 12:23
Très bonne idée cadeau pour Noël ça...
Rédigé par : Mlle E | 12 novembre 2007 à 12:37
Tout à fait d'accord avec Benoît...
D'autre part je suis très impressionnée par la cérémonie du thé au Japon, en parle-t-elle ?
Un seul bémol je trouve : le prix du livre, un peu cher je trouve. Mais bon.
PS Pars tu finalement ?
Rédigé par : poutchi | 12 novembre 2007 à 13:26
Benoît > Tout à fait d'accord. C'est tout le talent de Sophie que de remettre les choses dans un contexte culturel plus vaste que le petit bout de la lorgnette BCBG.
Mlle E > Et oui ! Mais bon, il faut aimer le thé... ;-)
Poutchi > La cérémonie du thé au Japon est bien sûr abordée mais pas développée car, comme je le disais avant, Sophie a évité de rabâcher des thèmes déjà traités mille fois par ailleurs.
Rédigé par : Thierry Richard | 12 novembre 2007 à 15:32
J'avais déjà dans ma bibliothèque "Thé : Arômes et Saveurs du Monde" de Lydia Gautier et Jean François Mallet à la photo ... qui ma foi m'a l'air très semblable par son approche à l'ouvrage que tu décris.
Mais bon, en amoureux du thé, je pense que je vais aller feuilleter ce livre, en espérant qu'il saura accompagner le mien sans faire doublon.
Rédigé par : Vincent | 12 novembre 2007 à 15:36
Cet article met de l'oxygène dans mes poumons aussi délicatement qu'un doux alizée sous les tropiques un soir de pleine lune, aussi fin qu'une senteur de sels marins en écoutant le bruit des vagues, aussi magique et féerique que la petite fumée d'un encens qui brûle près d'un chandelier éclairé, hum! Je raffole du thé mais, justement je suis trop gourmande du thé, lorsque je recommence à en boire, c'est au moins un chaque heure, j'ai beaucoup de difficultés à réguler cette potion que je dis magique, trop magique, elle ouvre des portes du ciel à celui qui la boit avec son palet en coeur jusqu'à une descente presque palpable comme une cascade de jouvence, c'est bien simple, lorsque je laisse le café pour le thé, j'en oublie de manger, je n'ai plus besoin de manger..Pour parler des aliments que tu nous présentes, j'en ai l'eau à la bouche car, si je savais cuisiner ce genre de plats, il est clair que ma dose de thé diminuerai certainement et je pourrai donc en reboire car oui, il faut plusieurs choses qui vont à l'identique ensemble pour qu'elle puisse s'équilibrer harmonieusement, et pour se faire, il faut du temps, donc merci Monsieur le Gentleman, c'est comme si on y était dans le THE...Tiens, je file de ce pas m'en faire un à la bergamote!Merci pour cette douce mélodie d'après-midi!
Rédigé par : Sand | 12 novembre 2007 à 16:54
oui c'est un classique visité et revisité, mais c'est quand même nettement plus classe et traditionnel que le tea time je trouve ;))
Rédigé par : poutchi | 13 novembre 2007 à 09:08
La tradition du thé est aussi clairement littéraire.
Rédigé par : unevilleunpoeme | 23 avril 2009 à 12:50