Le rendez-vous exhalait un léger parfum d’extravagance. De la veille pour le lendemain, quand il faut habituellement débroussailler à la machette un agenda aussi touffu que la forêt d’Amazonie avant d’y dénicher une place au soleil, dans une épicerie-comptoir, alors que mon comparse de l’occasion boxait plutôt dans la catégorie nappes blanches et argenterie, fussent-elles contemporaines, et avec, pour achever de piquer la curiosité, un invité énigmatique. Le tout bouclé par SMS en moins de deux minutes : « dîner avec A. demain soir, ça te dit ? »
A. Je l’avais déjà croisé à plusieurs reprises. Le plus souvent avec d’autres amis, dans de profonds fauteuils où le dos aime à se courber comme un chat que l’on caresse, autour des meilleurs champagnes (c’est lui qui les choisissait la plupart du temps), et régulièrement entouré de jeunes et jolies créatures aux bruyants bijoux. Toujours cravaté et rasé de près, il avait la poignée de main et le sourire francs, vous regardait dans les yeux en vous adressant la parole et savait vous mettre à l’aise en deux mots.
Alors pourquoi rameuter la troupe à la nuit tombée dans une rue piétonne du quartier des Ternes pour une banale épicerie ? Décidément, A. était bel et bien une énigme.
Il débarqua bien après l’horaire, comme souvent à son habitude. Nous avions déjà bien entamé la bouteille. L’endroit, un couloir d’épicerie fine proposant ses spécialités italiennes en take away, prolongé d’une salle plus vaste, intensément chaleureuse, aux murs terre de Sienne, ne nous avait pas déçus, abstraction faite de cet écran plat aux accents parvenus, qui trouait la pièce comme un œil de cyclope et attirait trop les regards.
Une veste sur le dossier et une cravate desserrée plus tard, A. raclait sa gorge : « C’est quand même incroyable, tout le monde se presse au Dada à côté et ici la salle est presque vide, pourtant, on y trouve parmi les meilleurs produits méditerranéens de tout Paris ! » C’était un habitué, il y venait plus souvent qu’à son tour s’y détendre le palais d’une tranche de jambon fine comme du papier de soie ou se lester l’estomac d’un plat de pâtes fraîches aux couleurs toscanes. Il y achetait son parmesan, ses huiles d’olive et ne cessait de tempêter contre l’époque qui glorifiait le factice et laissait dans l’ombre les exceptions.
A quoi je rétorquais en souplesse que j’y trouvais mon compte moi à cette époque et que partager des secrets peu répandus, en bonne compagnie, suffisait à mon bonheur. Sur ce, nous commandâmes une belle assiette de « Pata Negra Bellota » à partager (23 €), le genre de jambon qui se doit d’être avant tout savouré du bout des doigts, puis quelques assiettes de pâtes pour faire bonne figure. Sur les conseils de A., j’héritais des « Tortiglioni au boudin noir de chez Christian Parra » (16 €) que nous décidâmes d’accompagner d’un Amarone della Valpolicella 2003.
Au fur et à mesure que nous picorions la cochonnaille luisante au gras de nacre et au goût de noisette si prononcé, le voile se levait sur la personnalité de notre hôte. Son amour de la gastronomie, des belles assiettes et des produits d’exception y compris les plus simples (je mettais cela sur le compte de ces années passées auprès de Ducasse à Monaco), son appétit d’une vie pied au plancher, son raffinement, sa générosité et son sens de l’amitié.
On m’avait décrit les pâtes qui glissèrent sous mon nez comme le fait d’armes de l’établissement, le must have de l’endroit, bref un incontournable. Et l’on ne m’avait pas menti : une pasta cuite à la perfection, al dente, ferme sous la dent, parfumée d’un léger mais ferme goût de boudin noir en effilochée, doucement crémé pour en remettre une couche dans l’onctuosité, avec comme seule fantaisie quelques feuilles de persil plat on the top. Une bouchée. Une gorgée d’Amarone. Et mille souvenirs de campagnes d’Italie en tête. La sublimation des produits les plus simples pour les rendre à leur évidence, succulents, inattendus. Parfaits.
A l’instar de ce Pecorino que nous partageâmes ensuite, d’un caractère bien trempé, corsé par les mois d’attente et à la chair granuleuse comme une plage de Rimini.
Les yeux de A. et les nôtres brillaient de plaisir. Nous n’avions plus de ressentiment pour les ignorants qui, évitant cet endroit, s’entassaient à quelques mètres de nous devant un steack-frites des mauvais jours. Peut-être juste un peu de compassion.
C’est étrange en définitive. A quoi ça tient la naissance d’une amitié ? Souvent à trois fois rien. Un goût commun pour un fromage parfois. Et peut-être un peu plus.
Le Comerç7
7, rue Bayen
75017 Paris
Téléphone : 01 47 66 12 71
Ouvert le mardi de 9h à 19h, du mercredi au samedi de 9h à 22h30
Et le dimanche de 9h à 13h
Menu Déjeuner de 14,50 € à 18 €
A la carte, comptez entre 20 € et 40 €
Plus de photos du Comerç7, ici.
J'en ai le souffle coupé...Je reviendrai donc demain, car là, c'est, Oh my God! Sans aucun mot, du coup! De la senteur, rien que de la senteur, au fond du coeur, sans rien, ni sel, ni sucre, la saveur du coeu, oh oui, c'est ça! Wahou!Ma taille se noue d'un papillon doré, c'est impressionnant...Merci pour ce puissant ressentiment Richard que tu me procures. C'est très bon, vraiment très bon!
Rédigé par : Sand | 23 mai 2008 à 21:49
" [...] au gras de nacre et au goût de noisette [...] "
J'aime bien vos filets mignons.
Rédigé par : Laurent Morancé | 24 mai 2008 à 11:06
J'ai comme un goût des pâtes du restaurant Paoli à Florence sur la langue... Je ne sais pas si la question t'a déjà été posée, ne me dis pas que tu ne prends des kilos avec tous ces restaurants merveilleux, ou bien tu fais 4 marathon par semaine. @ +++
Rédigé par : Pierre-Jean | 25 mai 2008 à 18:28
Un grand merci pour cette chronique, sans laquelle j'aurais snobé ce restaurant à côté de chez moi !
Excellent rapport qualité/prix, produits de qualité, cuissons parfaites; bref, un pur moment de plaisir.
Dommage qu'il n'y ait eu que deux tables ce soir là... Incompréhensible.
Rédigé par : Joufpoi | 11 juin 2008 à 19:30
Tiens ! Est-ce que cela a un rapport avec le commerç14 de Barcelone ? J'y vais dans 10 jours !!
Rédigé par : foodie froggy | 17 juin 2008 à 11:58
Tiens ! Est-ce que cela a un rapport avec le commerç14 de Barcelone ? J'y vais dans 10 jours !!
Rédigé par : foodie froggy | 17 juin 2008 à 11:59