Racoleur ? Manipulateur ? Fortement inspiré dans son préambule par le meurtre du banquier d’affaires Edouard Stern, assassiné par sa maîtresse et retrouvé mort dans une combinaison de latex, le troisième livre de Laurent Schweizer s’éloigne pourtant très vite du fait divers people pour prendre une autre dimension. Celle d’une aventure hallucinée et troublante, menée tambour battant et en apesanteur par ce jeune auteur suisse que rien ne semble pouvoir effrayer.
Lors d’une vente aux enchères à Londres, le narrateur, ancien avocat rayé du barreau de Zürich, courtier en biens d’exception pour de richissimes clients, fait la connaissance d’une superbe danseuse de ballet, Seymour, « une princesse qui avait tous les dons et recevait tout avec grâce ». Celle-ci, dans les fièvres d’une scène d’amour rendue encore plus intense par l’usage de « substances », lui projette le film amateur de l’assassinat, lors d’une séance SM, du milliardaire monégasque Philip Kidman. Film sur lequel on semble distinguer Seymour appuyant sur la détente d’un Colt M9. Or, la jeune femme est par ailleurs la maîtresse de Lev, un milliardaire russe en exil, qui va proposer au narrateur un bien étrange marché…
Excessif, brillant, haletant, parfois même éprouvant, Latex nous plonge brutalement dans le maelström de l’époque avec tout ce qu’elle recèle de névroses, de violence et de fascinations factices, de sexe déshumanisé, d’argent facile et de luxe indécent. On y côtoie entre Londres, Capri et Gstaad, des héritiers, des princes de la finance, des courtisanes, des oligarques russes, la camorra napolitaine, des call-girls aux prénoms de planètes, des gardes du corps en costumes sur mesure et des médecins mettant au point secrètement pour l’industrie pharmaceutique de nouvelles drogues toujours plus performantes.
Passé les premières pages (on se promène alors dans le livre comme dans un musée d’art contemporain, intrigué par le récit, fasciné par la langue, sans forcément tout comprendre), on verse rapidement dans une lecture quasi-hypnotique. En effet, le narrateur ne voit le monde qu’à travers un prisme déformant lié aux drogues qu’il absorbe quotidiennement (« Les couleurs qui m’entouraient étaient souvent lumineuses, accompagnées de sons électriques. Le défilement du temps vécu pouvait s’estomper. Il devenait élastique. Ma conscience subissait de brèves dépossessions et des inversions de repères »). Et c’est ce point de vue qui sera le nôtre durant tout le livre, une vision déformée de la réalité, une conscience dont on ne sait jamais si elle est sur ou sous-dimensionnée, une distance permanente avec le monde réel, les personnages, le cours d’un récit à double-fond qui peut parfois sembler confus.
Mais ce qui frappe, au-delà des thèmes abordés en filigrane (le pouvoir, la cruauté, le désir, la perversion des sentiments…), c’est l’extrême habilité stylistique de l’auteur. Un style ornementé, poétique, que l’on sent très travaillé, où les mots s’ajustent comme autant de pièces d’horlogerie suisse mais avec toujours un subtil décalage, qui renforce l’idée de perception altérée et crée une atmosphère particulièrement prenante : « La lumière matinale convenait à sa peau habituée au soleil dans lequel elle disait se révéler chaque jour. La protection UV qu’elle utilisait pouvait être léchée et avalée. Elle avait un goût d’alcools amazoniens douceâtres, et se libérait en effluves successifs autour de son corps. »
Cocktail de sexe brûlant, de violence froide, d’argent sale ou pas, Latex est un livre qui vous bouscule, vous enchaîne à votre tour, comme les esclaves de ces jeux sexuels pour adultes pratiqués par les protagonistes sur les rives du Lac Léman. On le referme épuisé, sidéré, en ayant eu le sentiment d’avoir découvert un véritable objet littéraire, d’un style brillant et sulfureux, d’avoir vécu une expérience hallucinée durant 244 pages. Comme la sensation d’avoir roulé dans une voiture de sport s’enfonçant à vive allure dans un univers qui n’est pas le nôtre mais dont on perçoit l’existence en écho dans les pages des journaux, sur les écrans plats de nos téléviseurs.
Un univers d’où toute humanité semble évaporée. Dissoute dans la vodka, les dollars et la coke.
Latex
Laurent Schweizer
Seuil
244 pages – 18 €
Amen, allée louya et inchat là, you are un exceptionnel gentleman ;) ! Wahou de Whaou ! Merci beaucoup pour cet étalage langoureux :) Hum, comme ça glisse tout seul ce genre de bouquin, my god, c'est fascinant comme tu es fascinant dis-donc...constamment fascinant de poésie, de douce poésie, genre de chuppa chupp;):)
Rédigé par : SanD | 21 août 2008 à 10:31
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Mon com ne s'affiche pas? C'est normal ou ça vient de chez moi ? Ok, je reviendrai voir ça plus tard, soit.
Rédigé par : SanD | 21 août 2008 à 10:36
Whaou! j'adore ta critique. Du coup je vais aller me procurer ce livre de toutes urgences.
Rédigé par : Sasha la pin-up | 21 août 2008 à 10:43
Oh, mais qu'il est bon ton rose bonbon pastel sur ton blog, très joli, pin-up !
Rédigé par : SanD | 21 août 2008 à 11:36
...L'eau à la bouche !
Rédigé par : françoise | 21 août 2008 à 14:53
Je viens de finir la trilogie Millenium. Je file à la Fnac....;-))
Rédigé par : Falbalas | 23 août 2008 à 08:59
Pourquoi ne reponds-tu plus aux coms mon ami?
Rédigé par : Sand | 25 août 2008 à 12:58
Attention à tous, comme vous l'avez compris, c'est un livre très particulier, moi j'ai adoré me laisser embarquer mais il n'est pas d'un accès très facile...
Désolé pour le manque de réactivité et de billets, mais je suis submergé depuis mon retour de vacances. Le rythme (presque) normal de parution devrait reprendre la semaine prochaine ! Merci pour votre patience...
Rédigé par : Thierry Richard | 25 août 2008 à 17:18