Il y a des souvenirs qu’il ne faudrait jamais remuer. Des émotions vécues que l’on ne devrait jamais vouloir reproduire sous peine de sévères désillusions. Trimballer sa mémoire et ne pas chercher à rallumer au silex les vieilles flammes. Bref, je n’aurais jamais dû revenir chez Spoon. Presque dix ans se sont écoulés depuis ma première visite et j’en gardais devant la porte un appétit intact et la douce nostalgie d’une envie de séduire celle qui m’accompagnait ce soir là, à rompre toutes les barricades. Patatras. Le concept est une denrée hautement périssable. Quand il s’appuie sur de l’équation (ici on choisit son plat, son accompagnement et ses assaisonnements pour constituer seul sa propre assiette) et néglige l’émotion. Car sans sentiment la cuisine n’est rien. Et l’enthousiasme de la nouveauté s’émousse aussi vite que se voile un ciel d’automne à Paris.
Certes le nouveau cadre peut trouver ses adeptes, joli, passe-partout, un peu clinquant, d’une classe contemporaine sans âme et sans identité (on pourrait être à Tokyo, Sydney ou Chicago), mais pour tout dire il m’a un peu glacé les sangs. Il a donc ses amateurs, quelques tables clairsemées, étrangères pour la plupart, des américains high-tech et baskets, de jeunes femmes russes aux montres cerclées de brillants et parlant fort dans leurs portables dernier cri. Plus rien de ce qui faisait la franche excitation du lieu dans les années 90, la soif joyeuse de découverte et l’irruption soudaine d’un Ducasse à portée de main, malin et ludique.
Plus rien de tout cela. Et la tristesse et le ronron des années passées se retrouve dans l’assiette. Une entrée immangeable, un « Croqu’Salades, Achards de Légumes » si fortement vinaigré qu’il vous vrille l’estomac en une seconde (« Cette entrée, elle vous flingue la bouche… » nous confiera en apparté notre serveur). Si un jour on m’avait dit que je serais à deux doigts de renvoyer un plat en cuisine chez Ducasse je ne l’aurais pas cru ! Le temps de se remettre en selle et voici que débarque notre « Dorade tartinée champignons/herbes, purée de petits pois ». Je me mords les lèvres et jette un regard désespéré à la belle qui m’accompagne du style je-n’y-suis-pour-rien-je-t’assure-c’était-vraiment-bien-avant… Une assiette carrée, un poisson rectangulaire et un petit bol rond de purée d’un vert vif. Le poisson est plat, surmonté d’une croûte qu’on dirait presque brûlée tant elle est brune, parsemée de grains de gros sel et incrustée de trois lamelles de champignon. La présentation carbonisée à la « Mad Max » fait peur et n’a rien d’élégant. Au goût, ce n’est pas fameux non plus, la croûte est trop épaisse, trop salée, la dorade est trop cuite, d’une sècheresse rocailleuse assassinant le goût subtil du poisson. Seule la purée est agréable, très onctueuse et d’une douceur presque sucrée. Je n’y comprends rien. On est où là ?
La blonde de l’Est et de la table d’à côté, sa voix puissante, son décolleté vertigineux plongeant entre ses seins artificiels et sa montre à 10000 euros sont là pour me le rappeler, dans une adresse à la renommée internationale où seul le nom de M. Ducasse bat le rappel des chasseurs de signature.
« Notre gâteau préféré au fromage blanc » (le nom du dessert) ne fut pas le notre, trop sucré et crémeux et impossible à manger avec la cuillère munie de dents de fourchette qu’on nous colle sous la main d’office, histoire d’en rajouter un peu dans l’originalité has-been. On n’en peut plus.
Un jeune sommelier sauvera tout de même notre soirée du naufrage définitif par sa gentillesse, son amour des belles bouteilles et son envie de partager avec nous quelques surprenantes découvertes comme ce vin d’Afrique du Sud (L’Avenir, Stellenbosch Classic de Laroche 2005 à 30 €) étonnement fin et soyeux ou ce Vin de Coing belge, improbable et doucereux.
Finalement, nous aurions dû ne nous assoir qu’au bar et nous contenter de lever notre verre reconnaissant aux années 90, définitivement mortes.
Spoon at Marignan
14, rue de Marignan
75008 Paris
Téléphone : 01 40 76 34 44
A la carte compter entre 60 € (si vous prenez des pâtes...) et 100 €
Menu à 89 €
Plus de photos du Spoon, ici.
moui ça ne m'étonne pas trop à vrai dire. Mais Dieu que j'ai du mal avec cette partie du 8ème arrondissement qui est complètement surfait. On est souvent déçu par les restaurants.
Rédigé par : louison | 08 décembre 2008 à 09:22
aïe, aïe, aïe!
Rédigé par : auntie jo | 08 décembre 2008 à 10:18
j'ai toujours hésité a me rendre ce restaurant, pour le prix je prefere me diriger vers chez W. Ledeuil....
Rédigé par : stephane | 08 décembre 2008 à 10:53
J'y suis allée une fois et franchement ça ne m'avait pas emballée.
Avec le monsieur qui m'avait invitée et qui lui n'essayait pas de me séduire, on avait choisi un menu genre dégustation surprise. Le problème c'est que nous n'avions pas du tout la même chose chacun dans nos assiettes et que tous mes plats avaient une tendance à être épicés alors que je n'aime pas trop ça (genre en surprise, yahoo!! imposer de l'épicer j'ai trouvé ça moyen), par contre j'aurais bien tapé dans ceux de mon pote.. bref super frustrée en sortant de ne pas m'être régalée (au vue de l'adition que certes je ne payais pas..)
Rédigé par : Frogita | 08 décembre 2008 à 11:31
J'en ai un souvenir d'il y a tout juste 10 ans maintenant, quelques mois après l'ouverture.
L'une des expériences les plus prétentieuses et les plus décevantes de ma vie, d'un bout à l'autre, par exemple :
* à la réservation ("désolé, nous sommes complets", puis un appel à peine deux heures plus tard pour confirmer que c'était possible... alors que nous étions 6 ou 8 !)
* au service ("mais si Monsieur, c'est ce que vous aviez commandé, d'ailleurs je vous montre mon bon"),
* au choix des vins (où le serveur -pas le sommelier- insista pour que nous prenions un Mendoza bien plat, alors que nous suggérions plutôt un Chilien qui nous semblait plus adapté),
* à la fin du repas (OK, il était 23h passées), où le nettoyage de la cuisine a commencé. Nous nous étions dits que l'un des cuisiniers allait siffler ou allumer la radio...
* sans parler de l'addition...
Certes, mes amis et moi avions dix ans de moins, et peut être aurions-nous du comprendre que nos trente ans n'étaient certainement pas à l'arrogante hauteur des fourneaux possédés par Monsieur Ducasse.
Si cela les as gêné, Passard, Gagnaire, Martin, Lameloise et autres étoilés avaient eu le professionnalisme et l'élégance de ne pas le montrer...
Rédigé par : Dom & Gérie | 08 décembre 2008 à 11:39
a quand ton top des 10 pas glop parisiens?
Rédigé par : dyns | 08 décembre 2008 à 12:27
Ca m'étonne que tu te sois laissé piéger, à ton âge, enfin! Ce n'est pas sèrieux enfin! Comment veux-tu qu'en 10 ans un restaurant n'est pas changé dès lors il change de concept et de décoration ? Pour ce qui est de ne " jamais " remuer des souvenirs, pas d'accord, car si on s'en rappelle c'est qu'ils ont besoin d'être encore... ! Reproduire des émotions : impossible, elles sont chacune unique, pour le fait de désillusionner une émotion passée, je pense que cette peine sévère est impossible aussi car ça voudrait dire qu'une émotion est une illusion, ??? Non, une émotion EST. Je suis d'accord avec toi sur le fait d'avoir " une idée derrière la tête ( souvenir) " plutôt que dans le coeur pour séduire une femme qui t'accompagne,t'enlèvera la lucidité et l'objectivité pour faire ce qu'il faut devant une situation telle que celle-ci! L'erreur est humaine, ça c'est un fait ! Le truc c'est qu'en+ tu es chroniqueur du plaisir, alors j'imagine, enfin non, je préfère pas imaginer, rires, ce que devait penser ta compagne, rires bis!! Alors, là, tu vois, je pense que tu aurais du sortir le jocker du Gentleman, montrer ton courage et ton élégance, te faire admirer ta belle pour retourner cette facheuse et horrible assiette à ton avantage, il fallait tirer la chasse ( partie), comme un chef de cape et d'épée, crer un nouveau souvenir avec elle, et toi, te la jouer grand et fort au milieu de ces russes, leur en mettre plein la vue, plein la bouche, comme un Luchini, et je t'assures que là, vous auriez tous vécus, cuisinier, serveur, clients et VOUS2, plus belle encore émotion que l'amertune et la honte de payer ce nom qui pousse automatiquement à une définition beaucoup radicale à mon goût, au niveau " de conclure ".
Rédigé par : Sand | 08 décembre 2008 à 15:02
Enfin, la purée était bonne...
Rédigé par : armel | 08 décembre 2008 à 15:36
La prochaine fois que tu as des idées comme ça (aller dans un Ducasse), Thierry, appelle-moi d'abord !
Chez Ducasse, il reste le Louis XV, et encore Cerruti n'est plus aux commandes alors je ne garantis plus rien. Le reste, tout le reste, tu peux oublier. Allégrement.
Ducasse, ce n'est plus que de la com' — et encore de la très mauvaise, si j'en juge à une expérience récente. Du sentiment ? Il n'en a jamais été question. Sauf que maintenant, ça se voit trop.
Rédigé par : Ptipois | 08 décembre 2008 à 16:19
SPOON, j'en garde aussi un souvenir incroyable, mais j'avoue que le (nouveau) décors avec des chaises hautes est perturbant. Pourquoi des chaises hautes et des grandes tables ? Pour faire maison d'hôte ? C'est énervant, un peu comme le sommelier de chez gaya qui te propose un"petit vin", et force est de lui répondre que si on voulait boire un "petit vin", on irait ailleurs que chez Gaya ... Bref, la haute cuisine semble être devenue complexée. Pour ceux qui n'aiment pas, on peut leur répondre qu'il y aura toujours les Mc Do. Enfin ce que tu racontes m'attristes. La simplicité du SPOON et le contraste de sa cuisine terrible était très séduisant !
Rédigé par : rosemary | 08 décembre 2008 à 16:34
Ptipois > J'y étais en service commandé... ;-)
Rédigé par : Thierry Richard | 08 décembre 2008 à 16:34
Thierry est un espion pour le ministère de la critique ! Ouf, quel talent, tu as raison, il ne faut pas se laisser abattre pour si peu:)!
Rédigé par : Sand | 08 décembre 2008 à 20:32
Ravi que la Belgique ait contribué un tantinet à limiter la casse (pas mal ces vins de fruits hein ? il fait aussi un Vin de rhubarbe pétillant fantastique - Effervescence est son doux nom). L'Avenir de Stellenbosch est aussi un beau produit, de très bon rapport qualité/prix... heureusement que le liquide était là.
Pour le reste, c'est effectivement le genre de dîner qu'on voudrait oublier au plus vite. Ce ne sera peut-être pas extrêmement réconfortant mais saches que tu viens de me sauver d'une désillusion similaire, moi qui héistait depuis plusieurs années à visiter cette troublante adresse...
Force et Robustesse.
Laurent
Rédigé par : Laurent (GoT) | 09 décembre 2008 à 00:21
Thierry il faudra que je te raconte un jour la déception similaire que j'ai vécue lors d'un repas de famille chez Maxim's.
Un repas, que dis-je .. un drame.
Rédigé par : very | 11 décembre 2008 à 11:39
>>> Ptipois > J'y étais en service commandé... ;-)
Bien, c'est toujours une consolation quand c'est pas notre faute.
Rédigé par : Ptipois | 11 décembre 2008 à 12:24