Il n’était pas encore la barbe blanche de
la littérature française. Son couvert chez Drouant n’était pas encore dressé et
son influence sur le monde des lettres françaises ne s’étendait pas encore
jusqu’aux confins de l’Académie Goncourt. Il n’en était pas pour autant un
novice et malgré son jeune âge, sa connaissance du milieu littéraire tout comme
son style avaient déjà éclos, nourris de profondes racines. C’est ainsi qu’après
quelques années passées chez Denoël, François Nourissier publia en 1956 (il
avait 29 ans) Les chiens à fouetter,
une sorte de vademecum de la société
littéraire de l’époque à l’usage des jeunes gens brûlant de s’y faire une
place. C’est ce pamphlet de connaisseur, dont les bases furent jetées en un
week-end, drôle, mordant et toujours actuel que Le Dilettante a la judicieuse
idée de republier aujourd’hui.
Il adopte la forme d’un échange épistolaire entre un jeune écrivain voulant faire son chemin en littérature et un grand écrivain rompu à toutes les subtilités du paysage des lettres. Ce dernier prodiguera donc à son cadet ambitieux, après un vaste panorama sur la petite république des livres, quelques conseils pour y trouver sa route et l’endroit où s’y installer.
Pétri d’esprit et d’insolence, féroce autant que facétieux, ce voyage guidé n’a rien perdu de son actualité. François Nourissier, en expert matois, commence par dresser une petite sociologie des écrivains joyeusement décapante. Il raille les fonctionnaires aux positions bien assises (académies, jurys de prix littéraires…), moque les professeurs aux emplois du temps élastiques et les cuisiniers qui déroulent inlassablement la même recette ou qui labourent sans cesse les terres fertiles irrigués par de glorieux aînés (qu’ils marchent dans les traces de Proust, Gide, Ronsard ou Bernanos). En revanche, il loue les Amateurs, au sens littéral, « princes de cette république », seuls dignes d’intérêt et d’une admiration choisie : « Quoi que vous pensiez, préférez les écrivains avec qui vous aimeriez dîner à ceux qui ont de mauvaises manières. Vous apprendrez que les cravates, les paroles, les gestes de mauvais goût accompagnent toujours les sentiments de mauvais goût. »
A la suite de quoi vous serez embarqué sur un autobus panoramique pour une visite du Paris des lettres et des éditeurs, du 27, rue Jacob (au Seuil, la maison qui « ne rate que ses romans ») au 5, rue Sébastien-Bottin (chez Gallimard) en faisant halte au 100, rue Réaumur (où se dresse le France-Soir de Pierre Lazareff) et au 91, Champs-Elysées (siège de l’Express : « la troisième république eut quelques faiblesses mondaines, les Servan-Schreiber en furent une. »)
Vous apprendrez également comment (et pourquoi) se choisir un maître « âgé, à la notoriété assoupie », se façonner un personnage d’écrivain, naviguer entre les écueils fatals de la critique et – surtout – que le travail et le style sont tout : « La seule loi inexorable de ce milieu est le style. Si vous n’en choisissez pas un on le choisira pour vous. »
Balayant les genres, les familles et les carrières, allant d’un extrême à l’autre (de droite à gauche ou inversement) vous croiserez mousquetaires de plume, dandys des années 20 et vieux lions, Malraux, Paulhan et Aragon en tête, avant de vous laisser conduire le long des chemins d’une vanité dont les bornes kilométriques s’appellent dames, voitures et argent.
Une géographie littéraire jubilatoire, accompagnée
qui plus est d’un plateau du Jeu de l’oie
du petit homme de plume, concocté par l’auteur, histoire, si le cœur vous
en dit, de vous entraîner un peu à la course…
Les chiens à fouetter
François Nourissier
Le Dilettante
192 pages - 25 €
Richard,
Malgré le temps, je suis toujours aussi impressionnée par ton sens inné de la chronique littéraire.
C'est vraiment incroyable de faire de la publicité aussi luxieuse que même le mot publicité disparaît sous ta plume tellement il ne peut exister, tellement il est moche, affreux, ce mot publicité. C'est un peu comme si tu cassais des oeufs, que tu prenais le blanc, ce liquide ( publcité) iddeux, et, que tu fouettais, fouettais jusqu'à en faire ces oeufs en neige aussi voluptieux, légers et suprêmes que quelques pierres brutes de diamant une fois taillés, épurés et lustrés par le fin bijoutier,...Oh Richard, tu es un alchimiste surprenant!
Transmettre la matière de cette façon, un livre, il est là le " style " du milieu dont tu parles, positiver jusqu'à l'impossble négativité. Comme disait Malraux, face à la mort, il n'y a que l'immortalité..et moi, je pense aussi, que face à l'impossible ne peut se dresser que le possible : " La voie lactée "! cher Richard!
La course au Jouet!
Si j'étais ton enfant Richard, je serai la plus fière des enfants.
Merci, j'essaierai de me procurer ce livre, qui a l'air aussi " Nourrice " que grande Dame comme la France nous en raconte encore l'histoire, aussi riche qu'une bonne vache NormandLand ;)!
Et puis voilà quoi, le pouvoir des 3, l'homme, la femme et l'enfant, une trinité qui nous vient du fin fond de l'Egypte, car elle est pyramidale!!! La meilleure Amie quand on a la dalle.
Rédigé par : Sand | 03 novembre 2009 à 09:58
J'ai tenté de relire Nourissier il y a quelques semaines "un petit bourgeois". J'ai abandonné. Son écriture ne collait pas à mes états d'âme du moment, me dérangeait... J'y reviendrai certainement, plus tard.
Bel article, bien rédigé comme d'habitude...
Rédigé par : AllX | 05 novembre 2009 à 07:08