Vous décidez un jour de prendre deux places pour la salle Pleyel que vous n’avez pas fréquentée depuis sa rénovation, vous feuilletez rapidement le programme, Orchestre de Paris, Christoph Eschenbach, Mozart, Ravel, tout semble parfait. Vous appelez pour réserver et là, ça se complique. Plus de place, on vous propose de vous installer à « l’arrière-scène », quelques fauteuils en gradin disposés derrière les musiciens, faisant face au chef d’orchestre. Vous dites pourquoi pas (vous êtes toujours curieux de nouvelles expériences) et réservez.
Pleyel, rendue à son public depuis le mois de septembre, a donc fait peau neuve, et se déploie de nouveau dans l’esprit d’un paquebot des années folles : architecture Art Déco dans le grand hall, rotonde, stuc blanc, papier peint années 30 de Ruhlmann, bois d’angélique et dorures à l’or fin.
Dans la salle de concert le bois blond fait résonner le rouge bourgogne des fauteuils, soulignant encore le confort de l’endroit, son luxe discret et chaleureux. Lentement l'espace se remplit, les silhouettes prennent place, les yeux s’écarquillent, les voix chuchotent, les épaules se dénudent, les parfums se mêlent. Jusqu’à l’entrée des musiciens qui font enfin battre des mains.
C’est toujours, pour moi, un moment privilégié que celui où les instruments s’accordent. J’aime entendre ces sonorités toutes dissemblables mais toutes accordées, portant dans cette cacophonie la promesse de l’harmonie mélodique à venir, comme si du néant et du chaos surgissait un ordre invisible, inévitable, destiné à être, une harmonie sereine et fatale.
Puis le silence s’impose, le public suspend son souffle, le chef d’orchestre tout de noir vêtu, le crâne lisse, soulève le menton, allonge le bras et d’un mouvement fluide, en une fraction de seconde, entraîne cent musiciens à sa suite. La musique tonne, gronde, enfle et nous submerge.
La musique de Mozart, quand elle touche à ce point au sublime, m’arracherait des larmes. Je ne connais pas d’art aussi directement émotionnel que la musique. Un tableau peut bouleverser, éblouir, toucher au plus profond, évoquer en moi un plaisir intense, un sentiment de plénitude absolue, mais la musique seule peut me faire pleurer. Mais bon sang, à quelle part immuable de la nature humaine Mozart s’adresse-t-il si directement pour que sa musique nous touche à ce point ici et maintenant, comme elle a ému les hommes et les femmes des siècles passés et comme elle exaltera encore ceux des siècles à venir ? Quel est donc le secret de cet accès immédiat à l’intimité de nos âmes humaines ?
Eschenbach est un expressionniste. La musique l’envoûte, le possède et l’anime tout entier. Il en devient l’incarnation de chair et de sang. Assis au piano, ses doigts courent à une vitesse vertigineuse le long du clavier, de la main droite il déploie des arabesques fulgurantes de notes légères, alors même que de sa main gauche, ou d’un regard, ou du bout du menton, il continue à gouverner sa troupe musicale, à donner le ton, scander la mesure, déclencher la déferlante des violons d’un simple hochement de tête.
Il est la musique ce soir. Il est Mozart. Il est notre enthousiasmant bonheur d’une soirée d’hiver.
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Orchestre de Paris – Direction Christoph Eschenbach
Wolfgang Amadeus Mozart
Concerto pour Piano et Orchestre n°23
C’est dommage que la photo soit floue. Mais le post donne envie d’écouter Mozart – pas forcément d’aller à Pleyel.
Et de parler de « préparez vos mouchoirs » !
Rédigé par : Le Chic Geek | 09 janvier 2007 à 20:04