« Vendredi on dîne au Chateaubriand. » Un tout petit message de rien du tout le lundi et c’est la pensée unique qui la semaine toute entière vous occupe.
Empêcheur de manger en rond, on avait suivi et plus qu’apprécié il y a quelques années les premiers pas de Inaki Aizpitarte, jeune chef de La Famille, labo bobo de saveurs inédites et de mariages contre-nature à Montmartre - premier souvenir ému d’une escalope de foie gras poêlée servie dans un bol de soupe Miso, si délicieusement moelleuse en bouche - qui remplissait sa petite salle tous les soirs et faisait l’événement. On avait cependant regretté le manque de régularité des réussites et la tentation trop souvent présente de l’épate, de l’effet de manche à tout prix. Défauts de jeunesse ? Apprentissage nécessaire ? Valeur montante ou étoile filante ?
Depuis quelques mois Inaki est désormais dans ses murs, au Chateaubriand, le restaurant qu’il a ouvert avec Frédéric Peneau, rencontré au café Burq, haut-lieu du verre facile des Abbesses, à un jet de Converse de La Famille justement.
Première surprise, l’endroit, ou plus précisément l’emplacement. On découvre la devanture vieux bistrot du Chateaubriand dans une large avenue sans âme du 11ème, ce qui désappointe un peu, surtout après la traversée à la nuit tombée, dans le vent glacial de l’hiver, des petites rues tranquilles et chaleureuses longeant le Canal Saint-Martin.
Une jolie devanture de brasserie à l’ancienne, donc, toute de vitres et de zinc, comme un Café du Commerce de province, sur une petite place de village bordée de platanes. On jette un œil de l’extérieur, une grande salle aux plafonds élevés, un bar de bois sombre qu’éclaire un trio de globes à la luminosité crémeuse, les ardoises pour la forme, des tables brunes sans nappe, des murs beiges nus, un sol en mosaïque de boucherie chevaline. Une vague crainte d’avoir froid peut-être mais on pousse la porte.
Et c’est la chaleur qui nous inonde. L’ambiance est au néo-bistrot détendu, pas une cravate sur les banquettes de moleskine. L’esprit brasserie à l’ère de l’iPod, des Fils de Don Quichotte et de Fashion TV. Ici, pas de serveuses, seulement des « garçons ». Comme à l’époque. Si ce n’était la mise au goût du jour de l’uniforme, le tablier blanc est resté, la chemise immaculée aussi mais le jean est taille basse, le col ouvert, les cheveux longs et la barbe bien taillée. L’œil complice et le dialogue facile. Ici on n’a pas fait l’école hôtelière, mais on a le sens du contact. Et le public applaudit. La salle est vibrante, parfois bruyante mais c’est la vie qui s’y déballe.
La carte se la joue resserrée, mini-mini, une démonstration de savoir-faire condensée en trois entrées, trois plats, trois desserts. Un point. C’est tout. La cave en revanche étonne par sa richesse et ses découvertes à moins de 30 €, avec une sélection pointue de vins naturels. Nous optons pour l’aventure d’un Vin de Table du Languedoc, « Avec le temps… » 2005 d’Edouard Laffitte (24 €), qui malheureusement arrive sur table cadenassé, complètement renfermé sur lui-même. Laissons respirer, il se révèlera sur la longueur, franc, solide, aux arômes appuyés de cacao et de griotte, un vrai bon choix.
Et c’est parti pour l’étonnement d’une cuisine vive, fraîche et imprévisible. Inaki fait son show, sur le fil. Son encornet à l’encre est d’une exceptionnelle douceur. Tendre, soyeux, jamais caoutchouteux, marque d’une cuisson millimétrée. Une poche blanche tailladée, tachée du noir de l’encre et garnie d’une farce au riz Venere. Le noir et blanc est ici à l’honneur, mais celui-ci n’a rien de démodé.
De l’autre côté, on se régale déjà d’un Bœuf-Carottes revisité, dissocié, alliant le cru d’un tartare coupé au couteau et le cuit d’une queue de bœuf braisée, délicieusement grillée à l’extérieur et tendre à l’intérieur, qu’escortent des carottes émincées crues et cuites et une petite gelée de fond de veau. Aucun doute, Inaki Aizpitarte est en pleine possession de ses moyens, sa maîtrise des produits, des cuissons et des assaisonnements est parfaite.
Démonstration achevée avec les Saint-Jacques pochées, cœurs de palmier et grenades. On joue sur tous les registres, saveurs, couleurs et textures : le croquant du cœur de palmier, l’acidulé des graines de grenade qui explosent en bouche, le fondant de la Saint-Jacques pochée, le craquant du gros sel, la délicate mousse rosée en émulsion...
C’est bien là tout le talent d’Inaki Aizpitarte, ce grand gaillard dégingandé, autodidacte des cambuses, qui s’active les cheveux en bataille et la barbe de trois jours dans sa cuisine : jouer le choc des saveurs plutôt que les alliances subtiles. Déconcerter par la confrontation et séduire dans la surprise de la réconciliation.
Une cuisine excitante et surprenante comme une pochette surprise, ludique, intelligente, créative. La règle ici c’est tout sauf l’ennui.
Le Chateaubriand
129, avenue Parmentier
75011 Paris
Téléphone : 01 43 57 45 95
Menu-carte à 33 € et 39 €
Compter 50€ par personne
Réservation indispensable
Presqu'entièrement d'accord jusque dans la photo (voir http://www.mrlung.com/?p=29 )! Juste un petit bémol sur l'irrégularité de la carte (peut-être des baisses d'inspiration ?) et une carte des vins un peu légère. Mais chapeau bas pour le rapport qualité/prix.
Rédigé par : Mr Lung | 30 janvier 2007 à 16:39
Je me suis promis de m'y rendre dès lors que le temps me le permettra...
Emmanuel D.
Rédigé par : Emmanuel | 02 avril 2007 à 10:58
Bienvenue ici Emmanuel ! Très flatté de cette visite de connaisseur... Tu peux y aller les yeux fermés, tu ne le regretteras pas.
Rédigé par : Thierry | 02 avril 2007 à 11:08
Je n'ai pas été séduit par cette adresse,
et je n'ai pas retrouvé ce que tu soulignes. Excepté le fait que les garçons de salle sont très attentionnés auprès de la gente féminine ce qui pêche un peu dans un établissement.
Une autre visite est prévue prochainement.
Rédigé par : stephane | 06 avril 2007 à 07:31
Stéphane > Heureux de te lire ici, même si manifestement nous n'avons pas toujours les mêmes goûts, ce qui est plutôt enrichissant pour tous. C'est aussi la loi de cet exercice, un poil de subjectivité, les aléas d'une soirée (si la cuisine était une science exacte cela se saurait) et des points de vue et attentes différents... Mais je vois que tu as décidé de persévérer, c'est bien ! ;-)
Rédigé par : Thierry | 06 avril 2007 à 08:39
moi je suis arrivée en fin de soirée rejoindre des amis pour un verre... Mais très vite j'ai craqué pour un dessert et puis j'ai goûté ces fameux petit poissons coréens dé-li-cieux à tomber de simplicité, et puis aussi un peu de chorizo, et puis...je me suis arrêtée, dîner deux fois quand même, c'est pour dire comme c'est bon!L'ambiance était géniale et nous avons fait la fermeture avec eux sans avoir l'impression de les gêner… La prochaine fois je dévore un menu complet...
Rédigé par : Agnès | 22 mai 2007 à 11:13
Pour ma par, j'ai trouvé cet endroit bien décevant; l'alliance d'une réduction de foie de morue avec une pièce de boeuf était un brin prétentieuse et peu agréable (surtout que j'avais demandé du poisson!). Quant au service, un seul qualificatif convient : fatigant.
Rédigé par : Amélie | 22 novembre 2007 à 17:50
Inaki Aizpitarte... Jamais le nom d'un chef n'a si bien répondu à l'intrigue de sa cuisine !
La critique en vidéo de Simon~Says ! ici : http://francoissimon.typepad.fr/simonsays/2007/06/le-chateaubrian.html
Rédigé par : François | 18 décembre 2007 à 22:01
Inaki Aizpitarte... Jamais le nom d'un chef n'a si bien répondu à l'intrigue de sa cuisine !
La critique en vidéo de Simon~Says ! ici : http://francoissimon.typepad.fr/simonsays/2007/06/le-chateaubrian.html
Rédigé par : François | 18 décembre 2007 à 22:03