Tout aurait pourtant dû bien se passer. Des critiques élogieuses, Rubin et le Fooding en pamoison, un chef à la réputation propre à faire pâlir tous les marmitons de Navarre et trois bons coups de fourchette pour m’accompagner.
Rendez-vous donc ce soir pour un dîner 100% masculin à l’Ami Jean où un jeune chef fait paraît-il parler la poudre – et à tout le moins les journalistes gastronomiques – depuis quelques mois maintenant. Stéphane Jego, 35 ans dont 11 dans l’ombre de Yves Camdeborde à la Régalade, a en effet investi le plus vieux bistrot basque de la capitale, un ancien repaire de troisième mi-temps où l’on venait jargonner rugby et chanter faux, debout sur les tables.
Nous nous retrouvons donc dans un no man’s land du 7ème et pénétrons la devanture ordinaire de l’Ami Jean. A l’intérieur ça se bouscule, les tables exploitent le moindre centimètre carré, et la salle, pleine comme un œuf nous échauffe instantanément. On se faufile tant bien que mal dans un petit coin, pas mécontents de cette fièvre qui nous saisit après le froid hivernal laissé à la porte. On relève alors la tête – tout s’est passé si vite – et nos regards se croisent un peu déconcertés. Nous sommes dans un restaurant de sous-préfecture, le charme de la campagne en moins, murs de lambris marron fatigué – ça existe encore – plafond jaunâtre, ardoise de convenance, et mobilier en chêne brun rusticard estampillé Tatie Danielle.
Je sais bien que Curnonsky, fine plume et prince des gastronomes, disait qu’on ne vient pas au restaurant pour manger les rideaux. Mais quand ceux-ci vous coupent l’enthousiasme sous le pied, c’est l’appétit tout entier qui se fait la malle !
Arrive alors la carte pléthorique et nous reprenons des couleurs, on va voir ce qu’on va voir, après tout, le savoir-faire et le bonheur qui va avec sont sans doute dans l’assiette, alors ne mégottons pas. On veut du Jego, tout le Jego, alors exit le menu du marché à 30 €, pourtant fort bien troussé (poissons, gibiers, plats de ménage revigorés), direction la « Carte Blanche » à 60 € où nous remettons notre destin gastronomique du jour entre les mains du chef.
Et c’est parti pour le Grand Huit. On se voyait sur l’autoroute, on se retrouve aux autos tamponneuses. Accrochez vous à votre assiette ! Le service est sans dessus-dessous, une commande prise en dix secondes chrono, impossible de se faire conseiller un vin pour accompagner nos plats – on optera par défaut pour un Graves 2001 (32€) à oublier – et l’attente ensuite qui se prolonge.
Démarre enfin le défilé des plats en figures imposées. La première assiette servie sera un « Crémeux onctueux de Parmesan » qui se révèlera une entrée en matière à la hauteur de notre attente, un beau blanc mousseux, quelques croutons épars, un peu de lard bien croustillant, des marrons en lamelles fondantes, un essaim de ciboulette, un assemblage au cordeau et au goût fort bien ajusté.
Suivront, par ordre d’apparition, un « Petit rôti de Saint-Jacques » traité fort joliment (feuilles croustillantes de basilic, crème d’herbes et d’ail, lard omniprésent, léger goût d’agrumes, une trace d’œufs de lumps tire la préparation vers le bas de manière inutile mais on laisse filer), une « Caille rôtie en écrasée de potimarron » (cuisson parfaite, rosée, tendre, désossée sur son lit de potimarron orange, un régal de tendreté et de saveurs sourdes) puis un « Rouget grillé en croûte de Rosevalt » (chair tendre et fondante du poisson sur quelques écailles de pommes de terre inutilement compliquées d’un couvre-chef de filaments de pomme de terre gadgets impossibles à manger).
Entre les bouchées, la conversation dérive des sports d’hiver aux Présidentielles, de la maison que nous louerons ensemble cet été à de futures paternités, lieux communs certes, mais dont nous apprécions le confort.
Au fond de la salle, la cuisine ouverte laisse entrevoir son extrême agitation. On aperçoit Stéphane Jego s’y activer, turbulent, faisant transpirer son tablier bleu foncé, contrôlant du coin de l’oeil toutes les assiettes. Le coup de feu sous nos yeux, et là, ça tire à vue.
On nous apporte ensuite un « Parmentier de gibier à poils » (sans doute le plat le mieux maîtrisé du repas, sublimant les produits de saison, mousseline de céleri rave, grains de poivre qu’on croque avec gourmandise, marrons, potimarron, un léger goût de truffe, une viande toute en douceur, au moelleux tranchant avec les saveurs franches du gibier). On finira par un « Riz au lait Grand-Mère », délicieusement revisité, crémeux, léger, d’un blanc immaculé servi avec une confiture de lait couleur caramel et quelques noix de pécan en toile de fond.
Mais si le chef domine très largement son sujet, pour la salle, c’est zéro pointé. Le service reste brouillon, anarchique, peu compétent (impossible de se faire expliquer le contenu de nos assiettes), oscillant entre désinvolture – il faut voir la manière dont les bouteilles sont larguées à la va-vite sur notre table – et incorrection – se faire bousculer dix fois par les serveurs en un repas c’est horripilant.
C’est là tout le paradoxe de l’endroit. Ce décalage considérable entre la cuisine et la salle. Stéphane Jego est sans conteste un chef de très grand talent qui soigne sa mise, vise haut et tient son addition mais le piètre service lui coupe tous ses effets. Alors forcément, ça perturbe.
L’Ami Jean, ce soir-là, c’était un peu pour nous l’art sans les manières. Une désagréable et durable sensation de gâchis.
L’Ami Jean
27, rue Malar
75007 Paris
Téléphone : 01 47 05 86 89
Menus à 30 € et 60€
Compter entre 40 € et 80 € par personne
Réservation indispensable
Découverte de ton blog. Agréable façon de parler des plats que tu dégustes... c'est..
Sinon d'accord avec toi si il n'y a pas un tout, et notamment la déco il manque quelque chose..
Rédigé par : Frogita | 10 février 2007 à 13:03
Je suis d'accord avec Frogita
Très agréable
Rédigé par : Sandra Parker | 10 février 2007 à 14:50
J'aime beaucoup cet article...
Quelque chose de spécial s'en dégage, quelque chose qui respire aussi bon que la première photo.
g.
Rédigé par : g. | 10 février 2007 à 17:07
j'ai faim !
je mets tout de suite l'adresse de ton blog dans mes favoris... et vivement le prochain dîner.
(je me suis aussi laissée porter par les photos...)
Rédigé par : solenne | 27 février 2007 à 11:57
moi aussi tu m'as donné faim...
ce menu m'a l'air très alléchant !
par contre je déteste cette ambiance des uns sur les autres, le manque de service, j'aime savoir que je peux être conseillé quand j'en ai besoin, et pas confier ma commande entre deux tables, rapido presto !
Un peu de décontraction que diable ! ;)
Rédigé par : poutchi | 27 février 2007 à 13:35
conseillée ;)
Rédigé par : poutchi | 27 février 2007 à 13:36
A tous > Bienvenue ici et tant mieux si tout cela donne faim (enfin surtout pour les commentaires postés entre midi et deux...)
Rédigé par : Thierry | 27 février 2007 à 15:17
Quelle plume :-) C'est drole car moi jai aimé l'ambiance du restaurant mais nous n'étions que des filles et le serveur était aux petits soins :-)
Bravo pour ton blog et ton franc parler.
Mon billet sur l'ami jean :
http://scally.typepad.com/cest_moi_qui_lai_fait/2005/12/chez_lami_jean.html
Rédigé par : pascale | 09 mars 2007 à 19:13
Bonjour!
Première visite sur le Bô Blog que voilà!
Juste pour dire que c'est vrai que la salle de Stéphane n'est pas terrible, mais comparé à ce que c'était... c'est un exploit qu'il ai pu en tirer ça!
Et puis pour le no mand's land, je suis pas vraiment d'accord... dans la même rue, il y a l'Affriolé qui est peut-être mon restau préféré, et c'est pas peu dire (cuisine inventive et succulante de Thierry Vérola), et avenue Bosquet un bon plan rapport qualité prix, le Septième Vin, pour mes préférés (surtout quand le chef est aux commandes, Fred Mennecier : ces plats en sauce sont des p'tites tueries! )
...j'adôre manger et j'ai beaucoup traîné dans le coin...
Rédigé par : Spiritsan | 05 avril 2007 à 12:14
SpiritSan > Bienvenue ici ! Effectivement tu as entièrement raison pour l'Affriolé (une prochaine chronique ?). Je voulais juste exprimer le fait que l'on est pas ici dans le quartier le plus animé de Paris. ;-)
Rédigé par : Thierry Richard | 05 avril 2007 à 14:26
Un endroit à découvrir absolument, cela a été ma "cantine" pendant 4 ans... Et jamais déçue !!!
Rédigé par : Stéphanie | 18 septembre 2008 à 12:00
Dans le quartier il vaut mieux préférer L'ami Jean à l'Affriolé.
La décoration sans chichi de l'Affriolé façon bistrot années 1930-40 semble bien loin.
En effet tout le concept a été modifié au profit d'une déco impersonnelle qui voudrait apparemment acceuillir une "nouvelle cuisine tendance", ce qui est fort dommage!
Des chaises vertes très inconfortables, des ardoises aux murs, du carrelage vert/noir/blanc, une devanture design!
Un rapport qualité/prix déplorable!
Quant à l'accueil : un sourire de la patronne serait le bien venu. Son air hautain et son impolitesse montrent bien qu'elle n'a pas fait l'école hôtelière!!!
On vous fait vite comprendre qu'il y a un autre service après et qu'il faut débarasser la table au plus vite!
Rédigé par : Le gourmet masqué | 26 août 2009 à 18:05
Rien à voir avec ce restaurant tenu d'une main de maître par Peyo Pagueguy
Rédigé par : serge | 24 février 2011 à 15:53