Pour un peu, j’écrirais cette note sous pseudonyme, je me cacherais derrière ma fourchette et changerais de voix. Pas vraiment facile de se voir subitement propulsé au milieu des seigneurs de la cave, des experts du goulot, des Diderot et d’Alembert de la dive bouteille.
Flash Back. Il y a un mois Marsha me propose gentiment de la rejoindre pour participer avec d’autres amateurs de liquides non transparents aux Vendredis du Vin, où selon un principe désormais bien établi, tous les participants publient le dernier vendredi du mois une note de dégustation sur un thème imposé choisi par le maître de cérémonie du mois. Je trouve l’idée ludique, j’accepte dans la seconde puis je consulte la liste des contributeurs. Œnologues, vignerons, sommeliers, experts… Mon sang se coagule au niveau des tempes, j’ai chaud comme dans un hammam, toutes mes pensées se carapatent. Le blanc.
Mais je n’ai qu’une parole alors difficile de jouer l’anguille. Bon, c’est sûr, j’avance quand même sur la pointe des pieds.
Le sujet de mon bac du jour, choisi par notre ami Emmanuel, le petit papier que j’ai déplié les mains tremblantes, portait la mention « Vins de Femme ». Ouf ! Le vin, je m’y connais un peu, les femmes oui mais n’exagérons rien, bref, je dois bien pouvoir tirer quelque-chose de cette explication de texte…
Trois semaines plus tard, je rends ma copie. Vous n’y trouverez pas de mots à Haut-de-Forme, pas d’ « empyreumatique », de « caudalie » ou de « rétro-olfaction », juste une chronique au naturel, dans son jus, le vin comme on en parle.
On file donc ventre à terre vers le Languedoc, au pied de la Montagne Noire, dans un domaine pas comme les autres, celui d’Anne-Marie Lavaysse, le « Petit Domaine de Gimios » à Saint-Jean-de-Minervois. De petites parcelles entre les roches, sur une terre calcaire, schisteuse, écrasée de soleil, et un domaine viticole qui ne ressemble à aucun autre.
C’est qu’Anne-Marie Lavaysse pratique la viticulture à sa façon. La nature est reine à Gimios, la vigne vit sa vie et rien ni personne ne vient la contredire. C’est ainsi que l’on trouve pêle-mêle au milieu des vignes des arbres fruitiers, des herbes sauvages, des poireaux, des salades, une vache qui paît entre les rangs. Les vieux ceps eux-mêmes se débrouillent, solides, jamais malades tout juste vaporisés d’une décoction d’herbe maison de temps en temps pour la forme. Non palissés, ils titubent et ne tirent pas droit. C’est tout le charme des chemins buissonniers.
Vous l’avez compris Anne-Marie Lavaysse pratique la biodynamie, rien de chimique ne met jamais les pieds sur son domaine, pas d’engrais, pas de soufre, rien. De petits rendements (10 hectolitres l’hectare), les vendanges sont faites à la main, en remplissant des cagettes aux heures encore fraîches de la matinée.
Et tout ça pourquoi alors ? Et bien pour un Muscat qui a fait sa renommée (du sec et du demi-sec), hors-norme, fin, aromatique, très exubérant qui ne ressemble à rien de connu. Mais pour nous, ce sera son Rouge de Causse, un 2004 à la belle bouteille sombre que nous avons bu entre amis.
Et quelle surprise ! Ce rouge là ne ressemble en rien aux vins du Languedoc, habituellement plus trapus, plus lourds. Ici, on est dans la nervosité, la vivacité, l’enthousiasme. La robe est d’une belle couleur rubis, lumineuse et claire. On sent très vite des arômes très présents de fruits rouges, de griotte qui prendront toute leur dimension après un petit moment en carafe. Cette impression de vin « sur le fruit » persiste à la dégustation, on a clairement l’impression de croquer dans la corbeille, même si on sent bien aussi la minéralité du terroir et un peu d’acidité. Bien sûr si on n’aime que les vins boisés, ronds, lisses, sans anicroche, on sera forcément troublé par un tel caractère de vin de terroir.
C’est au final pour moi un vin courageux, qui a de l’allant, du cœur à l’ouvrage, à la fois léger et puissant, il m’évoque une étape de montagne du Tour de France sous le soleil qui grimpe, qui grimpe, qui grimpe. Une vraie belle personnalité à découvrir.
Et une démarche de vigneronne à encourager.
Anne-Marie Lavaysse
Le Petit Domaine de Gimios
Rouge de Causse 2004
Vin de Table – 16 €
Tél. : 04 67 38 26 10
Le meilleur endroit pour se le procurer à Paris, c’est une cave de passionnés, toute concentrée sur son propos « vins naturels » que j’adore :
Cave l’Insolite
30 rue de la Folie-Méricourt
75011 Paris
Tél. : 01 53 36 08 33
Bienvenue au club VdV, Thierry. Alors, Anne-Marie Lavaysse fait partir le mythe que les vins du sud sont lourds. Merci d'avoir partagé cette trouvaille.
Rédigé par : marsha | 26 mai 2007 à 02:14
Quelle plaisir de retrouver cette vigneronne, dont vous avez peint le portrait avec tant de justesse - ainsi que son vin. La description met l'eau à la bouche, peut-être justement parce que vous vous êtes passé des caudalie et autres retro-olfactions - connaissant ses vins et ce vin, je ne peut qu'acclamer votre jugement.
Et si vous avez aussi en passant bouché un coin au rumeur que tous les vins du sud soient lourds, tant mieux!
Rédigé par : Iris | 26 mai 2007 à 16:04
A mois d'un kilomètre de cette productrice, tu as le Domaine de Gravillas qui produit un superbe Carignan de très vieilles vignes (Lo Vielh), un grenache gris de toute beauté, et ... des muscats. Le pls intéressant étant "vous en voulez, en voilà". Puisqu'on parle de femme, Nicole Bojanowsky vaut vraiment le détour!...
Rédigé par : Eric | 27 mai 2007 à 08:07
D'accord, mais à 16 € la bouteille, c'est un peu France d'en haut tout ça, non ?
Rédigé par : BalthazarB | 27 mai 2007 à 10:50
Marsha > Merci pour la cooptation, finalement pas mal de stress pour un amateur de bonnes tables pas spécialiste du vin, mais la satisfaction d'une belle découverte.
Iris > Merci beaucoup, c'est vraiment gentil.
Eric > Merci du tuyau, ce nom-là j'adore ! Décidément les femmes sont sur tous les fronts.
Balthazar > Tu as tout à fait raison. C'est un vin cher (il est très coûteux à produire pour de petits rendements) donc réservé à certaines occasions. Mais la biodynamie a aussi un prix. Pour un bon petit vin de soif à moins de 4 €, La Buvette, de la Coopérative de Castelmaure en Corbières, si bien décrit par le sieur Estebe sur son blog : http://jeromeestebe.blog.tdg.ch/p259.html.
Rédigé par : Chroniques du Plaisir | 27 mai 2007 à 13:25
Ne vous inquietez pas Thierry. Même si je suis une professionelle du vin (oenologue), je me sens toujours amateur pour les dégustations. Ce n'est pas evident de trouver les mots justes pour décrire ce qu'on sent.
Bienvenue aux Vendredis du Vins et merci pour votre contribution très complète.
Rédigé par : Lisa Roskam | 28 mai 2007 à 21:20
Quel site !
Rédigé par : Hervé Torchet | 29 mai 2007 à 10:24
A quand le retour de dîner "URBANE "? Bon je vais l'essayer demain soir, j'espère que c'est pas mal ...
Rédigé par : Rosemary | 30 mai 2007 à 23:05
Rosemary > Dans ma todo list, l'Urbane s'est fait griller la politesse par, il faut bien l'avouer, pas mal d'endroits où s'attabler prioritairement. Pour tout te dire, je n'ai pas eu que de bons échos de l'endroit mais dis-nous ce que tu en penses !
Rédigé par : Chroniques du Plaisir | 30 mai 2007 à 23:29
Bon, bon, bon, les vins de femmes, j'en suis une et aime ceux du Languedoc, mon pays. Tu m'a donné envie de partager autrement cet amour du vin. En général, pour partager mes coups de coeur, j'invite mes amis, je vais essayer de mettre un peu de goûts de terre, de soleil et de schiste dans la bouche de ceux qui me liront.
Rédigé par : Gourmande | 31 mai 2007 à 23:39
Ma première critique culinaire est en place !! & c'est "Urbane" qui en fait les frais. Enfin j'aime beaucoup l'endroit et le style. Peut mieux faire, mais c'est déjà pas mal.
Rédigé par : rosemary | 01 juin 2007 à 03:31