Franchement, je crois que rien ne peut être plus exaspérant au restaurant : se réjouir à l’avance d’aller dîner dans un endroit qui a tout pour lui, le quartier, le décor, l’histoire et se retrouver finalement assis à une table qui marche à côté de ses Berluti, gâte la sauce de ses atouts, et finit par vous flanquer entre les omoplates un horripilant et poisseux sentiment de gâchis.
C’est très exactement le résumé de mon dernier dîner Chez Julien.
Comprenez bien. Chez Julien est un endroit rêvé, une petite parcelle de charme 1900 déposée le long de la Seine comme une enclave hors du temps, quelques pages de Balzac en édition originale. Idéalement postée sur une petite place très « Vieux Paris », à quelques pavés des quais, dans une atmosphère délicieusement alanguie entre l’ombre ajourée de grands marronniers et le grave clocher de l’église Saint-Gervais (qui abrite encore, et depuis le XVIIème siècle, l’orgue de François Couperin), cette ancienne boulangerie du début du siècle est d’un anachronisme ravissant. Une adresse de confidences, cheminant tranquillement, loin des tambours et trompettes de la nouveauté.
Il faut quand même bien dire que la qualité de la table s’était quelque peu perdue en chemin ces dernières années et que l’annonce de la reprise de l’établissement par Thierry Costes qui jurait ses grands dieux qu’il en conserverait l’âme avait de quoi faire frétiller d’impatience. On allait enfin retrouver dans ce cadre exceptionnel des assiettes dignes de ce nom. Au doux romantisme des petites salles aux plafonds de céramiques fleuries et aux banquettes de velours cramoisi allaient enfin répondre des plats aux plaisirs évidents, aux nappes blanches, fleurs fraîches et argenterie d’époque allaient de nouveau correspondre un menu de premier de la classe et les nectars conséquents.
Las. Certes le décor n’a pas bougé d’un pouce, l’ombre de Jacques Garcia est restée à la porte, le charme opère toujours dans la pénombre des lumières tamisées mais pour le reste, la déconvenue est totale.
A commencer par un service pesant, lourdement insistant, un serveur, sans doute ancien vendeur en porte à porte, pour qui tout dans la carte est « une bombe » et qui ne pense qu’à vous refiler à l’arrachée ses coupes de champagne pour l’apéritif.
La courte carte ensuite où il faudra déployer des trésors d’imagination et des capacités en calcul mental hors du commun pour maîtriser l’addition, jouant à saute-mouton entre les entrées flirtant avec les 15 € et les plats frisant la trentaine. Mais bon, on pourrait tout de même tolérer une addition imposante si la cuisine atteignait des sommets. Malheureusement, elle peine à se traîner au niveau du trottoir.
Jugez plutôt, la rumeur et quelques coupures de presse avaient fait de la Côte de Veau le plat emblématique du renouveau de la table, le morceau de bravoure du Chef. Nous voici donc partis (à cinq sur six) pour la côte de veau aux morilles et son gratin dauphinois (30 € tout de même). Arrive dans l’assiette une pièce de viande très épaisse, bien cuite, juteuse et au goût bien balancé mais qui baigne dans un jus sans vie, fade, vraisemblablement coupé d’eau, au milieu de quelques morilles très visiblement réhydratées, le gratin dauphinois, servi à part dans une petite assiette étant lui-même atone et sans relief. Si l’on ajoute ensuite à ce coûteux naufrage, un mille-feuille aigre, avec une chantilly qui, pour le coup, est vraiment « à la bombe », une carafe d’eau du robinet qui sent la javel, on aura le sentiment d’avoir vraiment touché le fond de l’escroquerie, la palme du genre revenant haut la main à une carte des vins tarifée au lance-flammes (le Morgon de chez Foillard à 50 € quand on le trouve partout ailleurs autour de 30 €…)
Bref, le ratage est complet et une note en évidente surcharge pondérale (60 € pour un plat et un dessert, accompagné d’un Pic-Saint-Loup, fort bon au demeurant, La Bergerie de l’Hortus étant toujours un choix recommandable, c’est un peu rude) viendra enfoncer le dernier clou de l’exaspération légitime de voir une si belle adresse jouer les filles de joie pour touristes en goguette.
Mais, nous précise-t-on, l’adresse est en rodage (depuis le printemps dernier, on ne peut que sourire), on nous promet d’ailleurs des travaux en février et une « surprise » à l’étage. Il ne manquait plus que cela, après l’assassinat de la cuisine, c’est le décor historique qui est en ligne de mire. Cela fait froid dans le dos…
Chez Julien
1, rue du Pont Louis Philippe
75004 Paris
Téléphone : 01 42 78 31
Comptez entre 60 et 80 € par personne
j'aurais été déçue également... la sauce coupée à l'eau, les morilles réhydratées...
mais dis moi, le pic St Loup à quel prix était il ? dans le restaurant dont je t'ai déjà parlé, il est à 23 euros.
Rédigé par : poutchi | 18 décembre 2007 à 13:30
Bof, on n'y viendra pas! De toutes façons, nou, à Paris on dine toujours chez notre ami Jean!
Rédigé par : Anne | 18 décembre 2007 à 13:40
Oups, dommage!
Pour moi, Chez Julien c'est un peu comme l'Ami Louis, un piège à touristes aisés...
Que ce soit repris par les Costes m'incite encore plus à ne pas y aller.
Rédigé par : Chrisos | 18 décembre 2007 à 14:32
Décidément les Costes je n'y mets plus les pieds.
Puisque Julien est devenu peu fréquentable, il te reste Guillaume ;)
Rédigé par : Mlle E | 18 décembre 2007 à 15:29
Moi qui comptais tenter cette adresse un jour prochain, c'est raté! Pas question qu'on me serve des morilles réhydratées pour 30 Euro le plat. Quand je pense que la presse en a fait tout un tintouin et qu'une connaissance l'a qualifiée de 'merveilleux' !!!
Rédigé par : Julie BBG | 18 décembre 2007 à 16:04
j'ai passée devant, je me suis posé la question et me suis dit...na! en rigolant toute seule.
Rédigé par : monica | 19 décembre 2007 à 01:10
tiens, qu'on parle de Costes, n'est ce pas cette famille qui a repris l'Hôtel Amour ? ;)
Rédigé par : poutchi | 19 décembre 2007 à 11:00
Ca ne me fait pas peur, ça me chagrine...D'après ce que tu dis, ils sont donc à côté de la plaque, crois tu qu'ils en ont vraiment conscience de l'effet que tu décris comme un gâchi et pire une arnaque? Leur as-tu signalé à eux pour les alerter du massacre? Surtout que si le décor va suivre...Les clients iront ailleurs mais eux...Parlez leur, non?
Rédigé par : Sand | 19 décembre 2007 à 12:12
Il est assez logique que les morilles soient réhydratées car ce champignon ne se récolte qu'entre le mois de mars et le mois de mai. Nous sommes en décembre, elle n'est donc proposée qu'en version sèche à réhydrater.
Rédigé par : Philippe | 19 décembre 2007 à 12:39
Poutchi > 30 €, ce qui est cher mais pas démesuré (une exception dans la carte des vins).
Anne > Il faut varier les plaisirs, même si l'Ami Jean est un très bon choix.
Chrisos > Le drame de l'histoire c'est que j'adore le charme de l'endroit !
Mlle E > Je lui transmettrai le message... ;-)
Julie BBG > Il ne faut pas croire tout ce que l'on lit (mais pourquoi je dis ça moi ?)
Monica > Bon réflexe !
Poutchi > Oui, mais à l'Hotel Amour on mange très convenablement.
Sand > Franchement, je ne pense pas que tout cela soit le fruit du hasard...
Philippe > Oui, c'est très juste ! C'est toujours cette sale manie de vouloir garder à la carte toute l'année des plats qui sont des plats de saison. A tout le moins elles auraient pu au moins être surgelées... ;-)
Rédigé par : Thierry Richard | 19 décembre 2007 à 13:22
Il peut-être alors le hasard d'un fruit, une conséquence hasardeuse alors, mais, dans les deux cas le hasard occupe une part et tout hasard à un sens, ceux que je veux dire par là, c'est que je suis si curieuse de savoir l'envers de ce bel endroit critiqué donc, attrister ce décor de charme, de voir que ce qu'on mange rompt ce charme d'histoire ,et, que j'aime beaucoup les critiques essentiellement pour ça, pour aussi les films, les livres etc...avec un beau talent qui t'appartient, je me demandais si ton interressement pour leur réponse sensibiliserait ta critique ou si au contraire ,elle était sans appel.C'est vrai qu'il ne faut pas croire tout ce qu'on lit ( pourquoi j'écris ça moi:))mais on s'y attache malgré nous, es-ce le fruit du hasard ou un choix bien hasardeux?Je ne sais pas j'apprends, je tombe je me relève comme tout le monde et encore plus rapidement en entendant critiquer avec autant d'habileté, de politesse et de poésie, j'apprends à afiner la critique malgré son poids émotionnel, ce qui n'est pas une mince affaire lorsqu'on porte de gros sabots...et là, en relisant, je vais m'en tenir à une info pour ce charmant restaurant où l'assiette est décevante, et là, je ris car j'ai encore plus envie d'y aller:)))pour voir!
Rédigé par : Sand | 19 décembre 2007 à 15:53
je rebondis sur les remarques à propos de costes ... nous sommes allés dîner chez Georges sur le toit de Beaubourg ; certes la vue est formidable surtout en cette période de fête de fin d'année mais quelle déception par rapport à ce que l'on a eu dans nos assiettes (un foie gras poelé baignant dans le gras sur des cèpes caoutchouteux insipides!) et le prix n'en parlons même pas !
décevant !
bons repas de fête gastronomiques à tous
une griotte épicurienne
Rédigé par : griotte | 21 décembre 2007 à 14:38
Merci pour cette chronique ! J'ai souvent connu ce sentiment de déception alors qu'on est motivé, enthousiaste et qu'on a envie d'y croire jusqu'au bout, c'est dur.
Joyeuses Fêtes !
Thomas
Rédigé par : Thomas Clément | 30 décembre 2007 à 12:56