L’impression que l’on éprouve en refermant « Un amour de Sagan », le dernier livre d’Annick Geille, c’est d’avoir lu d’une traite non pas une biographie traditionnelle (aucune date n’y figure clairement) mais plutôt un document romanesque, un témoignage « saganesque », sentimental, tendre et mélancolique, dont Françoise Sagan elle-même serait l’un des personnages centraux.
En effet, « Un amour de Sagan » relate comment l’auteur, alors jeune rédactrice en chef de Playboy en cette fin des années 70, a pu rencontrer puis s’immiscer dans le cercle des intimes de Françoise Sagan avant de séduire l’écrivain et de devenir sa maîtresse.
Sagan, finalement lassée de cette aventure, la poussa par la suite dans les bras de Bernard Frank, ami, amant et quasi frère jumeau, bras au creux desquels Annick Geille séjourna quelques années, bras dont elle fut ensuite chassée dès qu’elle fit mine de demander à cet amant, farouchement attaché à sa liberté, quelques gages durables de son attachement (« Vous n’allez pas me tenir en laisse, non ? » lui lança un jour sèchement Frank).
Une histoire de cœurs en somme, d’amours parallèles, d’enchevêtrement des sentiments telle qu’aurait pu la concevoir l’auteur de Bonjour Tristesse (« Elle était pour la circulation des désirs, leur liberté imprévisible ») et telle qu’elle fut réellement vécue. Mais ne dit-on pas de Françoise Sagan qu’elle mettait sa vie entière en scène, que « de toutes les intrigues qu’elle avait l’art de tricoter, sa propre histoire semblait la plus réussie » ?
Ainsi Annick Geille témoigne. Elle livre sans fard mais avec pudeur son histoire d’amour, ses histoires d’amour, sans chercher à masquer ses propres faiblesses, ses emballements un peu naïfs de jeune fille, ses émois incontrôlables, sa fascination pour des personnages d’exception, la sombre douleur des ruptures subies, et l’attachement profond et indéfectible qui la lia toujours à ses deux amants.
Mais, au-delà de l’anecdote personnelle, ce livre vaut aussi par ce qu’il nous donne à voir de l’entourage de Sagan à cette époque et de son mode de vie aussi fascinant que déroutant. On retrouve donc au fil des pages, et de l’intérieur, les lieux de sa vie, l’hôtel particulier du 25, rue d’Alésia, son refuge de la Cité Florale, le Manoir du Breuil à Equemauville, Carjac et les rives du Lot.
On y côtoie ce petit milieu artistico-littéraire où les femmes fument des cigarettes Kool, conduisent trop vite des coupés Mercedes dans les virages normands, se baignent nues dans des mers tropicales, se droguent avec des seringues de Palfium et où les hommes boivent leur Scotch en lisant le Monde à 17 heures précises, ont des souliers en cuir qui craquent, des costumes en laine beige, un bel esprit et pas de permis de conduire.
Quant à l’action, ici, elle réside simplement dans le fait de partir soudainement en week-end, de tout miser sur le noir, impair et manque au Casino de Trouville, de décoller en avion-taxi vers la Désirade, de se tordre de douleur lors d’une crise de manque ou de commander un Chasse-Spleen chez Lipp. Les rebondissements sont des hochements de tête, des sourires fugaces, des mains qui se frôlent, un mot sur le plateau du petit-déjeuner, un regard sous la mèche, un coup de fil qui ne vient pas, une chambre d’hôtel restée vide.
De ce monde sans vraies ruptures, ni relations exclusives, de ce monde de sentiments flous où rien n’est jamais acquis (« J’avais soif de certitudes, ce n’était pas le genre de la maison »), où l’esthétique, la liberté et la pudeur sont les maîtres à penser et à agir Annick Geille nous rapporte un portrait de Sagan en demi-teinte, d’où transparaît que cette insouciance, cette liberté et cette désinvolture avaient finalement un prix. Un arrière-goût de malheur inévitable et durable, à la Tchekhov.
Un amour de Sagan
Annick Geille
Pauvert – 376 pages – 20 €
Cet article est paru dans le numéro 8 du Magazine des Livres, en kiosque actuellement, Joseph Vebret ayant eu l'immense gentillesse de m'accepter dans son équipe, qu'il trouve ici l'expression de mes remerciements encore ébahis.
Félicitations !
Rédigé par : Turquois | 24 janvier 2008 à 13:17
C'est à nous, tes lecteurs, d'être ébahis, pas à toi, ton article est un Amour de T, voilà, c'est tout. Profites de tous ces encouragements que les gens te témoignent et fais le sans modestie, aucune, tu le mérites, je t'envoie toutes mes forces pour te porter encore et encore au beau sommet de la culture, un tronc essentiel, pour l'épanouissement des coeurs.Ce livre doit être vraiment bien écrit pour qu'il te fasse expliquer en de si jolis mots que l'essentiel: c'est de vivre ici et maintenant, et, en premier lieu avec qui nous sommes, en accord honnête avec soi.Bravo et merci de toute la chaleur brillante qui me fait me redresser quand la vie est un peu plus lourde...Bisoux.
Rédigé par : Sand | 24 janvier 2008 à 14:56
J'ai toujours éprouvé de la compassion pour ces femmes à l'ombre de ces artistes ou de ces hommes politiques (égoïstes et fascinants), elles côtoient la lumière tout en y brûlant leur ailes.
Rédigé par : claire | 24 janvier 2008 à 18:21
Claire, c'est superbe ce que tu dis!Comme d'hab!La compassion est, je pense, le plus beau des sentiments.
Rédigé par : Sand | 24 janvier 2008 à 18:34
Moi, je vote pour PLUS de chroniques livres sur ce blog !!! Merci Thierry pour le temps passé à sculpter et peaufiner tes textes.
Rédigé par : Benoit Wagner | 25 janvier 2008 à 11:30
Très beau texte en effet, ce qui est finalement rare sur la blogosphère.
Bravissimo!
Rédigé par : Oanèse | 25 janvier 2008 à 16:28
Je rejoins benoît pour réclamer plus de chroniques livres même si je suis consciente que ton temps doit être limité.
En tous cas, je ne doute pas qu'une plume telle que la tienne aura toute sa place dans le magazine des livres.
Félicitations !
Rédigé par : Thaïs | 28 janvier 2008 à 10:30
Eh bien, moi qui n'aime pas Françaoise Sagan, ton article me la montre sympathique, et j'ai envie de lire ce bouquin... merci !
Rédigé par : fanette | 28 janvier 2008 à 11:53
ton article me rappelle ma lecture de bonjour tristesse, une telle sensualité. Je crois que je suis un peu tomber en amour de l'auteur, cela dit j'avais 16 ans. Aujourd'hui, ce que j'aime c'est son léger cynisme mélé de distinction. Au final, on n'est jamais aussi bien qu'entre les lignes des cyniques, idéalistes, romantiques.
PS : un lien qui n'a rien à voir http://www.lingerie-paris.com/clic/en-un-clic.asp (vive le tanga, les dentelles et non aux habitudes. Ne dit-on pas de l'habitude nait l'ennui).
Rédigé par : Nahimage | 28 janvier 2008 à 15:15
L'habitude peut-être unique dans chacune de ses habitudes, c'est une histoire de temps. Je sais bien que c'est devenue presque "bof" d'avoir des habitudes, ce mot s'est un peu poussiéré avec les années, mais,c'est peut-être aussi parce qu'il s'est éloigné de son habitude"propre", celle qui se trouve le plus prés de nous, en accord avec nous, et oui, l'ennui, mais un ennui idéal,sans aucune marge entre nous et l'habitude, celui qui bouge à chaque seconde, qui change en chaque matin, en chaque amour,avec belle habitude, et bel ennui,ce silence bruyant de chaque habitudes précédentes différentes à demain.Comme l'habitude de mettre une culottes ou pas mais celle qu'on prend l'habitude de changer chaque matin ou plus si affinités :)Vive cet ennui là!
Rédigé par : Sand | 28 janvier 2008 à 15:32
Ah mais vous faites donc partie de l'équipe ! Bienvenue à vous et bravo pour votre blog. Il est très intéressant de par sa diversité. Nous aimons tous deux les bonnes choses ! ;)
Rédigé par : Léthée | 05 novembre 2008 à 19:05