Le vieux sac en toile bleue Napapijri qui me fait me sentir un peu baroudeur, l’égal mystique d’un Peter Beard des cuisines, traîne encore dans le couloir, mes affaires à peine sorties, toujours en cours de déballage. Je rentre juste de Deauville où comme je vous l’avais annoncé, la jeune (et moins jeune) cuisine s’est donnée en spectacle, deux jours durant, livrée aux flashs, aux yeux écarquillés et à la curiosité affamée des aficionados de la bouffe. Avec plus ou moins de talent, plus ou moins de fards et de faux-fuyants, plus ou moins d’à-propos…
Alors, que conserver de ces deux jours d’immersion dans le potage ? Que vous livrer comme ça, à chaud ? Des commentaires et des sensations forcément partielles et nécessairement subjectives, des moments forts qui vous reviennent en mémoire sans même avoir à les titiller… Quelques instantanés donc.
Une touchante complicité
Celle de Christophe Rohat et Pascal Barbot de l’Astrance, livrée en amuse-bouche sur un canapé rouge à 8h30 du matin, faisant partager avec la plus grande simplicité du monde les débuts, les hésitations, les folles espérances, les envies maîtrisés, l’envers du décor d’un triple-étoilé du sentiment. Leur amitié se lit à visage découvert, leur complémentarité comme une évidence, qui se rassemble toute entière dans l’envie de faire plaisir à leurs convives, Christophe, sa gentillesse et sa voix chaude dans la salle, Pascal, son immense talent et ses yeux pétillants de malice bonhomme dans l’assiette. Un beau pas de deux pour ouvrir le bal
Un coup de foudre
Massimiliano Alajmo (Le Calandre, Sarmoela di Rubano, Italie)
Mon coup de cœur du festival. Une grande gigue fin comme un roseau à l’élégante nonchalance et aux yeux de velours sombre, grands ouverts et emplis de poésie. Des yeux qui regardent le monde qui l’entoure, à quelques centaines de mètres comme à plusieurs milliers de kilomètres de son restaurant transalpin. L’Italie dans son essence, l’esprit du produit jamais trahi, le cœur et les sentiments au creux de l’assiette. La modernité comme hommage à la tradition et non en reniement. De superbes taglionis aux fausses pâtes de mozarella, simples comme une Madone des villages et belles comme un tableau de Veronese. Un dessert magnifique, raviolis de crème pâtissière avec une belle sauce aux fruits rouges. Bouleversant.
Je veux y aller !
Un choc
René Redzepi (Noma, Copenhague, Danemark)
La cuisine scandinave existe, Noma en est l’incarnation moderne et singulière. La cuisine de René Redzepi est un choc radical. Elle puise son essence dans le sol rugueux des fjords asséchés, où coquilles de coquillages ensemencent la terre meuble, où des légumes inconnus le disputent à des racines étranges et des centaines de plantes aromatiques. Un menu de cinq plats exclusivement à base de légumes, dont on sent le côté essentiel et pourtant terriblement séducteur. De l’ail des ours, de la truffe suédoise en purée, de la peau de lait en ornement, des assiettes en galet, un dessert de carottes. Tous les éléments sont dans l’assiette, la terre, le végétal, le minéral, même le vent. Des bouillons, des jus, des concentrations, des poudres, une imagination à tomber par terre pour sublimer quelques plantes. Le grand nord au fond du plat. Stupéfiant.
Un terroir vitesse TGV
Olivier Nasti (Le Chambard, Kaysersberg, France)
De l’est de la France, une éblouissante démonstration que la modernité puise aussi (surtout ?) sa substance dans les racines de son terroir. Olivier Nasti est alsacien, accessoirement M.O.F., et ne renie rien de ses origines. Il les incarne et les prolonge juste dans son époque. Son manifeste du jour, une poêlée escargots, élevés par un petit producteur maniaque à quelques kilomètres de son restaurant, revenus dans un beurre d’oseille et gingembre, mis en place sur une royale d’ail, servis dans une assiette creuse avec une sauce au persil et une délicate mousse verte en couvre-chef. Une déclinaison de l’esprit des escargots en coquille donc. La preuve que l’on peut être jeune, talentueux, reconnu, sans tourner le dos à ce que l’on est et à l’endroit d’où l’on vient. Une leçon.
Un saut dans le temps
Seiji Yamamoto (Ryugin, Tokyo, Japon)
L’avant-garde japonaise pied au plancher, direction de XXIIème siècle. Des assiettes en sérigraphie comestible, une soupe servie dans une bouteille de Bordeaux avec son bouchon comestible en salsifi, une fausse pomme d’amour en sucre soufflé, un code barre inscrit dans le plat que vous photographiez avec votre téléphone mobile pour accéder à des informations sur Internet pendant votre repas. Une expérience déroutante dont on ne sait s’il faut en être ébahi ou catastrophé. En tout cas, quelque chose d’inédit qui ne ressemble à rien de connu et le sentiment confus qu’il se passe des choses incroyables là-bas…
Une envie de prendre le train
Inigo Lavado (Irun, Espagne)
Une cuisine espagnole loin, très loin, des clichés excessifs de la molécule, de l’azote, des espumas et sphérifications à gogo, une cuisine basque, touchante de simplicité (œuf et jambon cuits dans une boule de pain), désarmante de beauté (champignons confits au naturel avec faux risotto d’amandes frites et tisane de porcelet, thym et romarin) mais surtout bluffante de talent. La maîtrise parfaite des bases techniques (pigeonneau juste rôti au four et fumé à l’instant) au service d’une cuisine-plaisir des sens, sans intellectualisation superflue où le carré d’agneau au bâton bien dégagé se déguste avec les doigts... Juste ce qu’il faut de rectitude, d’honnêteté et de générosité. C’est là le seul vrai critère en définitive. L’envie terrible qui vous tenaille alors en fin de journée de prendre le premier train pour Irun.
Un feu follet, la porte à côté
Peter Nilsson (La Gazetta, Paris, France)
Ce sera l’un de mes prochains rendez-vous à Paris, c’est désormais une évidence. On m’en avait parlé lors de ses premières armes à Uzès. Petter Nilsson, le plus parisien des suédois, une intuition grosse comme le Ritz, un talent improbable d’improvisation et de spontanéité, une sensibilité tranquillement assumée, une forte dose d’humilité aussi (qui d’autre cuisine les racines de poireaux en salade ?) et au final une table parisienne où se joue visiblement une très belle aventure à moins de 30 euros. J’y cours, j’en reviens et je vous raconte !
Une phrase
« L’assiette est une arène de 26 cm de large » lâche Pierre Gagnaire au détour de la conversation avec Luc Dubanchet et Sébastien Demorand. Quelle belle image, si profonde et si pleine de vérité nue ! Car c’est dans cette arène de poche que le cuisinier livre des dizaines de batailles quotidiennes, c’est là qu’il pérît ou qu’il sort victorieux sous les vivas de la foule. Une heure de divan donc, où l’homme Gagnaire (bien plus que le cuisinier) se met à poil, livre son cœur battant à la foule silencieuse et bouche bée. Assurément la maturité, l’expérience du temps passé sont là. L’intelligence sensible aussi. Un homme, un père, un chef, enfin prêt à transmettre. Un grand bonhomme.
Une conclusion ?
Parce qu’il faut bien en donner une, disons que ce OFF aura été la démonstration même que si la cuisine contemporaine, tout comme la vie, vibre, danse, se cabre, part dans tous les sens, que si les médias agitent tant bien que mal la tambouille et rêvent de petites cases où tout classer, la sincérité restera toujours le maître mot de notre plaisir. Enfin, pour la cuisine qui nous touche, bien sûr ! Le reflet sincère d’une personnalité, l’honnêteté des produits travaillés, proches et francs, la fidélité aux origines mais les yeux grands ouverts sur le monde. Les pieds dans son jardin, la tête dans des nuages lointains et le cœur sur le fourneau. C’est bien ça la cuisine, non ?
Bon, c'est pas encore cette fois ci que je m'abstiendrai de mettre mon grain de sel...
Ces rendez vous culinaires me font penser à la potion magique d'Asterix (Quelle culture, n'est ce pas!)
On goûte à l'incroyable, on écoute des hommes, des femmes passionnés, au vocabulaire d'une richesse et d'une sensualité divine, qui respirent la générosité et l'envie de partager...
Puis on rentre chez soi, gonflés à bloc.
Vivement Mougins
Rédigé par : Claire | 14 février 2008 à 11:20
J'aurais aimé assister à ce festival. En tout cas votre compte rendu donne envie !
J'en retiendrai personnellement l'adresse à Irun que j'essaierai volontiers un de ces jours, ma maison familiale se situant non loin de la frontière espagnole, et Pierre Gagnaire, encore et toujours, un sacré bonhomme.
Rédigé par : Kaplan | 14 février 2008 à 11:40
ah ce pur bonheur ! comme j'aurais aimé ^tre là ...!
Rédigé par : emilie | 14 février 2008 à 11:56
Métaphore d'une éloquence rare, en effet.
Et je regrette en lisant ces lignes de ne m’y être point rendue (!)
Rédigé par : Monica | 14 février 2008 à 11:58
Qui de Passedat, Denaux, Piège? J'aurais bien aimé avoir ton avis sur ces 3 chefs qui devraient faire parler d'eux dans peu de temps...
Quand est il du Sirop de gland trufier, aiguilles de pins, ail des ours du vercors, capucine tubereuse....recette de Cedric Denaux, un cuisinier qui trouve sa source dans les plantes et qui semble maintenant se tourner vers le japon
J'aurais également aimé que tu nous parles de Jf Piege et de son interpretation de la cuisine.
Mais également de Passedat futur 3 macarons qui avait décidé de travailler le homard breton au gingembre clarifié et mauve abyssale...
Enfin on ne peut pas tout faire ;-)
Rédigé par : stephane | 14 février 2008 à 12:41
La Gazetta, j'avais bien aimé le soir, mais à midi, on m'a dit que c'était un peu bof!
et l'Astrance, il faudrait que je sois plus persévérant au téléphone pour y décrocher une table...
ce que je retiens de ce festival via tes croquis en lettre, c'est une grande et belle diversité, des expériences plaisantes, tant mieux!
Rédigé par : Chrisos | 14 février 2008 à 15:36
En complément, pour mon ami Stéphane qui n'en a jamais assez > Le parti-pris de ce papier était de faire partager mes coups de coeur, pas de faire une revue exhaustive des participants. Pour tout te dire Marx m'a terriblement déçu, il semble enfermé dans son personnage et tourne à vide dans son nuage d'azote, Piège nous a donné du moi-je une heure durant, avec une démonstration de Plateau Télé au final bien peu convaincante (que j'ai d'ailleurs pu goûter), Passedat tel qu'en lui-même, un peu rigide, rugueux, mais impressionnant de maîtrise pour une très belle réalisation à base de homard, et un Denaux très bavard mais techniquement pas du tout à la hauteur de la manifestation... A cela tu ajoutes une démo loupée des Bras père et fils sur le thème d'un dessert au pain, un Michalak qui rend les filles hystériques (elles hurlent pour ses religieuses comme pour une chanson de Patrick Bruel) et tu auras une vision presque exhaustive. Presque...
Rédigé par : Thierry Richard | 14 février 2008 à 17:21
Toujours un plaisir de lire ces compte rendus, en particulier ceux d'ici ! Je retiens des nomes et des adresses... Evidemment le danemark n'est pas prévu au programme... D'où l'intérêt du off.
Rédigé par : Tiuscha | 14 février 2008 à 18:24
Aucune conclusion, tout défile comme un carnaval, la cuisine est le masque le plus parfait de la vie, un Venise à Violon, à piano aussi, celui des innocents amoureux, les grands enfants de Mozart, grand Hommage à tous ces cuisiniers qui nous jouent la si belle harmonie de l'amour de la vie, et de l'amour tout court! Merci Thierry de nous en faire entendre les notes, sur le bout de nos lèvres, pour en émettre le désir, l'espoir un jour de saliver tout ce qu'on peut imaginer....Bonne Saint-Valentin !
Rédigé par : Sand | 14 février 2008 à 21:15
ah l'Italie...
Rédigé par : Thaïs | 15 février 2008 à 09:58
Je partage totalement sur noma (&Redzepi) et La Gazzetta de Nilsson.
Une visite en septembre dernier chez noma m'a littéralement retournée (voir mon post sur GoT)... une expérience unique.
Quant à La Gazzetta, c'est devenu un incontournable sur Paris pour un rapport qualité/prix imbattable.
Au plaisir,
Laurent
ps) énorme la phrase de Gagnaire, colle si bien au personnage et à sa cuisine...
Rédigé par : Laurent (GoT) | 15 février 2008 à 21:27
Déjà en septembre, Denaux avait illustré la phrase:"tous les goûts sont dans la nature" avec des pétoncles sur un fumé d'aiguilles de pins, et une chose est sure, on ne doit pas avoir les mêmes.
Dans la même version , cuisine intellectualisée, Laurence Salomon m'avait beaucoup plus séduite.
Rédigé par : Claire | 16 février 2008 à 11:30
Bonjour Thierry,
ah mince, désolé de ne pas t'avoir croisé!
J'ai moi aussi écumé les démonstrations, entre deux dégustations à la Dive Bouteille...J'ai aimé d'autres chefs dont tu n'as pas parlé, mais je me contenterai de dire, pour ceux qui n'y étaient pas, qu'il y en avait pour tous les goûts et toutes les tendances culinaires.
Une sélection éclectique, ouverte, avec à la fois des techniciens, des innovateurs, des partisans de leur terroir, des atomisés...Moi j'ai vraiment adoré. Et je trouve que la présentation de Sébastien Demorand trouvait la bonne distance.
A bientôt, peut-être à la Gazzetta!
Rédigé par : Egmont Labadie | 19 février 2008 à 13:22
bonjour, je voudrais juste ajouter quelques mots et répondre a chrisos, la cuisine n'est heureusement pas que technique...il y a une place aussi dans ce festival et aussi dans un mouvement de ''jeune cuisine'' pour les mecs comme moi qui ont juste un univers et un rapport décalé avec le cuisine,mes mains sont directement branchées en permanence sur mes émotions, la nature drome provencale et les produits unique du jardin bio de cathy ma femme et donc pas de technique dans tout ca juste une maniére de vivre et un moyen ludique d'exprimer mes émotions...ceci doit il vraiment m'exclure de la scene du off a deauville ?
De plus pas un mot dans vos commentaires sur le café confidence d'andoni luis aduriz, un génie qui peut expliquer, un gars au top de la technique semble t'il mais en plus avec une immense humanité, et la culture suffisante pour expliquer pourquoi et comment...
Alors tant de poesie a coté des prout prout a l'azote je ne sais quoi, paraissent un peu plat...il y a autant de cuisinier que de sensibilité de cuisine, chacun la sienne, de la à pouvoir juger si mon intervention n'ai pas été a la hauteur...mais a la hauteur de quoi de qui , nous avons décliner ma femme et moi notre vérité, notre intimité le chemin de vie que nous voulons pour notre entreprise, rien de plus
a bientôt sur la terre
cédric denaux
Rédigé par : cuisinier en herbes | 21 février 2008 à 16:47