On dit de lui que c’est le plus grand chroniqueur gastronomique de France, un Grimaud de la Reynière des temps modernes, brillant et narquois, un Curnonsky solitaire et dandy, en plus rock n’ roll. Ce n’est pas faux. François Simon, journaliste au Figaro et chroniqueur sur Paris Première, promène ainsi depuis des années son fin palais et sa plume acérée dans les salles de restaurants dont il restitue avec talent la comédie humaine, l’âme des lieux et la couleur des assiettes. Et quand cet amateur de belles lettres se sent un peu à l’étroit dans ses petits papiers, ses colonnes et ses formats courts, il reprend ses aises et écrit un livre.
Le dernier s’intitule « Aux innocents la bouche pleine ». On y suit l’auteur (qui écrit toujours à la première personne, c’est une marque de fabrique) dans ses pérégrinations parisiennes autour des plaisirs de la table qui sont finalement pour cet hédoniste romantique et cynique autant de prétextes à laisser filer entre les persiennes quelques considérations générales sur la vie, l’amour, le Japon et le vélo dans Paris.
L’ouvrage s’ouvre sur un lever de rideau en peau d’oignon, chaque couche entamée en masquant une nouvelle. On croit tenir bien en main la boussole des pages à venir quand on lit que l’auteur ayant « terminé l’histoire d’un hôtel » a décidé de se faire payer non pas en droits d’auteur mais en séjours, cinq week-ends en tout et pour tout dans ce Palace mythique. Mais qui prendre par la main pour y aller ? D’où une trame qui semble toute balisée : « Cinq. On griffonne une liste. On savoure une hypothèse. Ce serait ce roman. »
Mais le garçon est futé, pudique ou inconstant et très vite la piste initiale se brouille. Des week-ends à remplir on ne fait plus grand cas. Une femme (ou plusieurs, allez savoir, elles ne sont jamais nommées) sur les talons et autant de rendez-vous sur la nappe, un échec cuisant (« J’aime bien l’expression se manger un râteau. J’aurais préféré cependant ajouter du gingembre, du miel et de la chantilly au manche qui s’encastra dans mon front. »), des souvenirs de cuisines et de cuisiniers, de nouveaux emballements pour une épaule, une main qui replace une mèche rebelle, touche une cheville, des considérations d’entomologiste sur la gastronomie, ses tendances et ses travers, la suite du livre n’est plus qu’une lente et suave digression.
Et on le suit bien sûr avec un plaisir gourmand promenant sa nonchalance aristocratique dans Paris, de déjeuners en dîners, si bien décrits, comme autant de charmantes occasions de conquête, de doux et vénéneux rendez-vous, même si, finalement, le fil du récit se distend jusqu’à se perdre. Reste alors, puisque de roman il n’est plus question, le plaisir des mots, de cette langue si joliment maniée, à la pointe du fleuret, et la saveur des fines anecdotes toujours rapportées d’un œil amusé.
Le livre prend alors la clé des champs, suit plutôt les chemins de traverse, nous convie à d’étonnantes et brèves rencontres (Philippe Stark, Frédéric Malle), nous ballade dans un Paris buissonnier, d’une rive à l’autre, entre les tables de ses restaurants, entre les coups de cœur et les sentiments du narrateur dont la pudeur au final camouflera les détails. C’est un fait, François Simon n’a pas son pareil pour décrypter les perspectives cavalières des tables parisiennes. Le restaurant est son champ de bataille, sa chambre nuptiale, l’assiette son théâtre, mi-Labiche, mi-Marivaux, les chefs et les maîtres d’hôtel ses duellistes quotidiens. Et ce style que tous les journalistes de la presse gastronomique lui envient ! Cet art de la métaphore, de la périphrase décalée, le choix du mot juste qui éveille et suscite immanquablement d’improbables collisions mentales diaboliques d’efficacité : l’agneau est « désarmant dans ses teintes sepia, cette façon endimanchée et bienheureuse », le Saint-Pierre « extra, posé comme du Satie, pas ramenard, doux, bienveillant », les frites « font dans le genre râleuses » et « renoncent un peu écœurées, disant adieu sans même un goût de patate ».
On aimerait pourtant qu’il lâche un peu plus la rampe notre François Simon, on rêverait de voir la berline faire une embardée et récupérer, un peu plus loin dans le décor, les charmes d’une histoire sentimentale en pointillée décrite avec plus de présence. Et de constance. Bref, tenir entre les mains un vrai roman. Car on l’en sent capable, on sent poindre au détour d’une phrase d’autres ambitions, de sourdes frustrations qui, un jour peut-être, le conduiront sur ces nouveaux territoires dont pour l’instant il longe les frontières.
En attendant, inutile de bouder notre plaisir, celui d’un personnage et d’un style qui nous aspirent, nous captivent et nous tirent par la cravate jusqu’à l’épilogue. Qui, bien sûr, n’en est pas un…
Aux innocents la bouche pleine
François Simon
Robert Laffont
192 pages – 18 €
PS : Ce billet est la reprise d’une de mes chroniques parues dans le Magazine des Livres n°10, actuellement en kiosque.
Ce livre faisait partie de mes prévisions de lecture pour les vacances, vous m'avez conforté dans l'idée. Merci. :)
Rédigé par : Kaplan | 21 juillet 2008 à 12:15
Bonne lecture d'été en effet.
Merci
Rédigé par : louison | 21 juillet 2008 à 18:26
Je viens de l'acheter et pour le moment je suis entrain de vivre une deception. Je m'explique en parcourant quelques pages j'ai comme une impression de rechauffé, un sentiment d'avoir déja lu ces pages. En y reflechissant je me replonge sur son blog et je retrouve le chapitre a l'identitque 'Passage sur Maxim's", j'ai donc pour le moment arreté cette lecture car j'ai l'impression d'avoir été trompé.
Rédigé par : stephane | 21 juillet 2008 à 21:49
J'adore ses chroniques Paris Premièriennes, il faut absolument que je lise ça!
Rédigé par : Sasha la pin-up | 22 juillet 2008 à 11:00
autant j'arrive a apprécier le blog de francois, autant ses livres sont d'un soporifique absolu pour moi, j'arrete d'acheter.
en dehors des livres autour de la gastronomie, je n'aime que la philosophie et l'histoire, les romans et les styles littéraires qui s'y raportent me gonfle, mais d'une force...
désolé françois, mais vraiment j'arrive pas
Rédigé par : sborgnanera | 22 juillet 2008 à 14:32
Aux hommes grenouilles, une rime en
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Rédigé par : Sand | 23 juillet 2008 à 10:50
Stéphane, Sborgnanera > Vous avez la dent dure ! Effectivement, on retrouve dans le livre quelques passages déjà lus sur le blog de François Simon mais tout le monde ne lit pas ce blog et ce n'est qu'une petite partie du livre. Par ailleurs, je confirme ce que j'ai écrit, ce fut pour moi un réel plaisir de lecture fine et drôle. Pas un roman certes, mais un récit un peu décousu parfois, mais fort bien écrit, une jolie divagation autour de la table en fait.
Rédigé par : Thierry Richard | 23 juillet 2008 à 12:25
Lu début juillet, me suis régalé. Certes, y'a certaines redites côté critiques et narration d'expériences gourmandes, mais pas de quoi bouder mon plaisir.
Un excellent moment alliant humour, poésie, parfois tendre parfois corrosif.
Me suis régalé.
au plaisir,
Laurent
Rédigé par : Laurent V (GoT) | 23 juillet 2008 à 14:56
François Simon est le Bob Dylan de la gastronomie !
Rédigé par : alain | 26 juillet 2008 à 17:50