Les livres ont des saisons, vous savez. Pas celles des couturiers, ni celles des séries TV, non, celles des couleurs du ciel et des feuilles des arbres. Il y a des livres d’été, lumineux et solaires, des livres d’hiver, sombres et chauds. Voici un livre pour votre automne, mélancolique et beau.
Edouard et Florence ont vingt ans. Nous sommes en 1962, en Angleterre, aux abords de la plage de Chesil, dans un petit hôtel de bord de mer où, jeunes mariés, ils vont passer leur nuit de noces. Le repas est servi, la soirée bien avancée et le moment crucial de rejoindre la chambre se rapproche à grands pas. Mais nous sommes à une époque où l’on arrive encore au mariage sans avoir connu le grand frisson de l’amour charnel. Ainsi, sans qu’ils en perçoivent vraiment toutes les conséquences, les émois de cette première nuit sexuelle vont façonner irrémédiablement leurs vies d’adultes.
C’est sur cette trame ténue, presque transparente, où l’action se concentre en une seule nuit, que Ian McEwan tisse son dernier ouvrage. Lui qui nous avait déjà enchantés avec son précédent opus, Samedi, trouve de nouveau le moyen de nous éblouir et de nous captiver avec une économie de moyens déconcertante. Car l’auteur a ce talent rare que de savoir saisir ces moments de vérité où une vie peut basculer, ces points d’inflexion qui donnent aux destinées de nouvelles orientations et d’y condenser toute une époque. Ici le début des années soixante, période charnière, où les libérations à venir sont pressenties mais pas encore survenues.
En cinq chapitres et à peine 150 pages, ce court roman nous présente donc deux jeunes gens à l’aube de leur vie, de leur couple, de leurs destins mais toujours prisonniers de leur éducation et de leurs milieux respectifs. Ils sont encore à cet âge où la vie n’est qu’une grande promesse (« Il avait tout simplement hâte que commence sa vie, sa véritable histoire »), où tout peut encore arriver, de grandes ambitions se réaliser ou s’évanouir dans un cul de sac. C’est ce qui se décidera lors de cette nuit fatidique.
>Cette histoire, c’est à travers les regards respectifs de ces deux protagonistes que nous la pénétrons. McEwan installe alors une subtile mécanique narrative alternant les scènes de leur nuit de noces et les flashbacks sur tout ce qui, éducation, personnalité, sentiments, les a amenés là, ensemble, à vivre et partager ce moment-là, cette nuit décisive. Nous voici projetés aussi bien dans leur histoire personnelle que dans leurs monologues intérieurs, leurs sensations divergentes et leurs réflexions les plus intimes (« Il souffrait terriblement du manque de simplicité de leur nuit de noces, alors que leur amour était si évident », « Elle croyait pouvoir maîtriser son affolement et son dégoût, elle aimait Edouard et ne pensait qu’à une chose : l’aider à obtenir ce qu’il convoitait tant »).
Bien installés dans les pensées de l’un et l’autre, nous partageons ainsi, dans quelques scènes d’une évidente drôlerie, leurs craintes face à ce moment qui devrait pourtant être l’un des plus beaux de leur vie, la peur panique de Florence à l’idée qu’un homme puisse s’allonger sur elle, sa terreur manifeste devant l’organe masculin et l’angoisse d’Edouard de ne pas savoir s’y prendre.
C’est que l’auteur suit ses personnages avec une touchante tendresse, et dès les premières pages, on s’attache. A Florence la musicienne passionnée, volontaire, menant d’une main de fer son Quatuor, à Edouard, jeune homme tendre et orgueilleux, rêveur aux grandes ambitions. Des études musicales par passion pour elle, l’apprentissage de l’histoire comme un pis-aller pour lui, une famille upper-class pour elle, un milieu modeste et une mère « mentalement dérangée » pour lui. Mais outre ces différences d’origines sociales, les personnages principaux eux-mêmes ne sont pas forcément ce qu’ils semblent être, mus par des forces qui les dépassent, révélant tour à tour leurs zones d’ombre, leurs failles et fêlures, la violence de leurs mots et la brutalité de leurs corps.
Dans une langue précise, claire, charmeuse (« l’air d’une douceur vespérale »), Ian McEwan compose un roman d’atmosphère, sentimental et précieux, où se glissent incidemment de superbes descriptions de la campagne anglaise, ses terrains de cricket à l’herbe rase, ses allées de tilleuls et ses vallées aux ombres verdoyantes (« L’ombre des tilleuls était si profonde qu’ils semblaient d’un bleu presque noir au soleil, et la lande disparaissait sous l’herbe drue et les fleurs sauvages »).
Sur la plage de Chesil est un roman des temps qui changent, de la jointure des époques et des héros entre deux mondes, bâti sur une simple et belle idée, un peu naïve peut-être, qu’une rencontre, une nuit, un instant, peuvent marquer de leur trace indélébile toute une vie et en façonner le chemin jusqu’à la fin. Un roman sensible et délicat, avec ses éclairs de violence et de passion, ses petits traits d’humour fin, un livre au parfum de pot-pourri, d’herbe fraîchement coupée et de galets sur la grève. Parfait pour accompagner votre automne.
Un très beau roman triste. Un superbe livre de rentrée. L’un des meilleurs de cette rentrée littéraire en tout cas.
Sur la plage de Chesil
Ian McEwan
Gallimard
158 pages
16,90 €
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J'ai comme la moutarde AMORA qui me monte au nez avec ce roman que je ne connais pas : serais-ce le roman des morts :)?!! Oui, certainement mais dans une langue latine je dirais! En fait, je dois avouer que je lis plus à part les résumer, oui, c'est ça, je me suffit avec la résumection de tout, le concentré de l'auteur qui écrit car le temps me manque mais non l'envie de découvrir des bouquins encore et toujours! J'adore le résumé qui fait tout d'un seul le coup de grâce sans besoin d'y perdre un temps fou!Sans compter l'image de couverture, le nom et prénom, mais que demande le peuple pour lire ne serais-ce au moins un résumé qui vous mue en un éclair de foudre, en une étincelle de bonheur d'un seul coup de bâton qui guidera le chemin du suivant....! Je rêve beaucoup de cette façon, genre de boudoir dans ma courte lecture où là est cette quintessence de ce que représente un livre, une oeuvre offerte si généreusement comme ici pour le plaisir d'indiquer un livre à lire tout simplement!
En fait, j'ai comme un rituel immédiat de création, plutôt paradoxale côté mariage avec la passion raisonnable, je vais moi-même te le confesser à toi mon ami, par considération intense de ton aiguillage littéraire, mon rêve passionnellement raisonnable :
1/ rencontrer ma deuxième main d'écriture vital et amoureuse
2/le rituel imaginaire, soit : que lui et moi nous tatouons chaque mois un doigt d'une alliance, ce qui atteint les 5 mois de préparation d'union courageuse en 2 mains complémentaires
3/le 6ième mois est au mariage des 2 mains en Juin!
4/la vie maritalement tatouée en deux tours demain dans la plus exclusive d'un rite et contrat de mariage amoureux à l'infini!
Oui, Oh, oui, j'adore rêver littéraire en une résumation préliminaire.
Paix en mon âme et celle que j'attends muer en nous.
3/
Rédigé par : Sand | 29 septembre 2008 à 13:01
Et ma question de vie sera toujours celle-ci : " qui sera capable un jour de tatouer cinq de ses doigts pour me prouver la preuve d'un mariage à vie avec moi? ":)Voici le rituel à moi qui me fait vivre d'attendre mon prince!:) Merci.
Rédigé par : Sand | 29 septembre 2008 à 13:09
J'ai fini ce roman il y a quelques jours à peine. Etant un inconditionnel de Ian McEwan je dois dire que j'ai été moins "soufflé" à sa lecture qu'à celle de "Samedi" ou "Expiation".
On retrouve néanmoins l'incroyable talent de l'auteur pour nous immerger dans le ressenti de ses personnages, avec une précision assez épatante. Chaque mot est un rouage et l'ensemble s'imbrique magnifiquement, de manière à créer une incroyable empathie envers les protagonistes. La montée du désir, de la frustration, de la colère, la capacité que l'on a parfois à sa mentir à soi-même, tout est évoqué avec une justesse admirable. Devant une telle méticulosité, je ne sais pas si on doit plutôt comparer McEwan à un horloger ou à un chirurgien. Un peu des deux sans doute...
Rédigé par : Kaplan | 29 septembre 2008 à 23:35
Sand > Tu écris tes propres livres en fait... ;-)
Kaplan > C'est vraiment très juste ce que tu écris. Complètement d'accord avec toi. Ce type est vraiment brillant !
Rédigé par : Thierry Richard | 30 septembre 2008 à 00:19
Moi j'ai toujours l'impression que l'idée de départ est excellente et qu'apres il a du mal a finir ses histoires (je parle notamment pour Amsterdam et Délire d'amour). Je sais pas, tout part en vrille, on s'éclate, et puis tout d'un coup ça se conclut en 20 pages, un peu en eau de boudin et de maniere pas tres crédible.
Rédigé par : mixlamalice | 09 octobre 2008 à 22:36
Un livre magnifique et triste.
Rédigé par : Crazyvio | 10 octobre 2008 à 10:57