J’étais dans ce grand magasin chic de la Rive Gauche. Mes talons claquaient sur le parquet ciré, sombre et luisant. Les allées étaient désertées en ce début d’après-midi, je les voyais comme autant de larges échappées d’un grand parc d’où une rafale aurait dispersé les premières feuilles mortes de la fin de l’été. J’étais pressé. Mais je suis passé devant.
Vingt minutes plus tard et cent vingt-cinq euros de moins sur mon compte (tout de même), il était soigneusement plié dans son sac orange. Depuis, je ne le quitte plus. Enfin, façon de parler.
Car, bien sûr il y a sa coupe, parfaite, tombant avec élégance et rigueur, vous donnant une silhouette au cordeau, ajustée, pleine d’esprit. Il y a sa couleur aussi, un bleu profond, sombre, brut, aux reflets blancs pointillistes. La matière aussi, rêche, rigide, presque cartonneuse, on appelle cela de la toile japonaise, et cette raideur qui lui donne toute sa tenue. Il y a enfin cette discrétion de ceux qui sont sûrs de leur fait, pas de marque visible, juste, pour les connaisseurs, la mention « APC Fleurus près du Luxembourg » gravée sur le premier bouton.
Mais surtout il y a les règles d’or qui vont le rendre unique. Une discipline du jean. Improbable et rigoureuse : le porter le plus souvent possible pour en assouplir la toile, attendre des mois et des mois, vivre avec sans discontinuer et lorsqu’il est décidément trop sale, l’envoyer enfin au nettoyage à sec.
Et c’est ce que je fais, je le porte comme un animal qu’on apprivoise. Chaque jour il se fait plus souple, plus caressant, plus docile. Plus près de moi, singulier. Notre vie commune ne fait pourtant que commencer.
On m’a rapporté que Léo Chabot (de la boutique Colette) aurait tenu un an avant le premier nettoyage du sien, j’en suis loin, mais je trouve cette attente délicieuse. Un peu comme un bonheur qui se mérite.
Jean APC « New Standard »
125 €