L’adolescence est un âge fragile, à la fois miraculeux et tragique. Ce thème a été maintes fois balayé, avec plus ou moins de bonheur. C’est pourtant de cette difficulté d’être, inhérente au passage de l’enfance à l’âge adulte que Blanche de Richemont a choisi de nous entretenir dans son premier roman, Pourquoi pas le silence, au travers du destin de Paul, un héros malhabile et beau d’à peine quinze ans.
Certes, Paul n’est pas un adolescent comme les autres. En lisière de l’époque, il compte peu d’amis, un seul véritable à dire vrai, vit dans une chambre monacale aux phrases écrites sur les murs, a une sœur acrobate et lit de la poésie. Mais cela ne l’empêche pas d’éprouver au plus profond de son cœur les affres d’un moment de la vie où l’on est partagé entre le désir d’avoir son âge et celui d’y échapper. Où le malaise rôde sans que l’on n’en perçoive vraiment l’origine, incompréhensible pour les proches, mais tout aussi incompréhensible pour Paul lui-même.
Pourtant le jeune garçon « a tout pour être heureux », des parents aimants, une complicité affectueuse avec Lou, sa sœur, une solide amitié avec Florent, un amour naissant avec la belle Camille. Mais ses parents sont perdus devant le désarroi implacable de leur fils (« Papa, à quoi je sers ? » « Passe-moi ta mère ! »), Lou enrage contre le manque de volonté de son frère, Florent ne comprend pas les atermoiements perpétuels de son ami et Camille sent peu à peu que son amour lui échappe.
Un drôle de garçon que ce Paul qui s’en va se ressourcer régulièrement sur la tombe de Max, son cousin antithèse, amoureux de tous les plaisirs de la vie, trop tôt disparu et seule personne auprès de laquelle Paul « était un homme ». Car c’est une figure romantique, telle qu’on la rêve à quinze ans, que dessine Blanche de Richemont sous ces traits adolescents. Un joli garçon, mais emprunté et mal dans son corps grand et musclé (« Les gens s’attendent à une grande gueule, je ne sais que réciter des vers »), un amoureux de la solitude, des grands sentiments et de la beauté, mal à l’aise dans son âge et son siècle.
Avec délicatesse et pudeur, dans ce court roman écrit à la première personne, l’auteur brosse le portrait d’un garçon perdu dont les seules révoltes sont intérieures, à l’insatisfaction permanente (« Je la trouvais si parfaite qu’elle m’a ennuyé ») et indélébile. Dans un dispositif narratif très efficace où les pensées, les envies, le moi profond de Paul sont sans cesse démentis par les paroles qu’il prononce et que chacun entend (« Je ne le pense pas mais je le dis quand même »). Car celui-ci n’agit finalement jamais selon ses pensées, fuyant sans cesse et cédant peu à peu du terrain, de petites lâchetés en minables replis.
Car Pourquoi pas le silence est en définitive un roman de la fuite, cette énergie vitale, cette tentation permanente, fuir les rendez-vous, fuir la banalité, fuir les gens, fuir son corps, fuir sa vie, jusqu’à la fuite ultime. Le roman de ces adolescents qui ne savent que gémir en silence et surtout ne pas crier, ces écorchés vifs que tout agresse et dont aucune plainte ne franchit les lèvres. « Je vis malgré moi » dira Paul. Tout est là. C’est triste et c’est beau. Comme ce premier roman tout en finesse et retenue.
Pourquoi pas le silence
Blanche de Richemont
Robert Laffont
132 pages - 14 €
Cette critique est la reprise d’un de mes articles parus dans le Magazine des Livres n°14, actuellement en kiosque.
Commentaires