Il flotte dans l'air, où volètent encore les fleurs de marronniers en flocons printaniers, un air de grandes vacances. Le soleil, levé tôt lui aussi, troue les hauts feuillages et inonde les avenues désertes, les trottoirs dépeuplés semblant soudainement d’une largeur inhabituelle. On roule vite ce matin, accélérations éblouies, rapides et brèves, de feu rouge en feu rouge. Devantures fermées, rideaux de fer encore clos, Paris semble s'être vidé de sa sève. La police barre quelques rues aux abords du Louvre, on sent obscurément que quelque chose se trame, qu'ailleurs des gens se regroupent, se préparent, astiquent les banderoles et vérifient les mégaphones, que des cars entrent dans la capitale par d'autres portes, loin de nous. On ressent l'imminence d'une action, bientôt ce seront les sifflets, les slogans, la télé et les têtes d'affiche de la politique revendicative. Mais tout cela ne nous concerne pas.
Neuf heures, c’est presque l’aube pour un jour férié. Nous prenons notre café boulevard Saint-Germain, à la terrasse du seul bar ouvert en ce jour chômé, sous les reflets aveuglants du soleil enfin revenu de loin, qui fait sortir les lunettes noires des poches de veston. Je partage le guéridon avec un écrivain français dont j'aime l’œil vif et la pensée cinglante, un peu potache, un peu frondeuse, parfois assassine. Entre deux rires et mots d'esprit, il me confesse préférer les livres des autres aux siens et n'accorder que peu de qualités aux romans qu'il écrit pourtant depuis plus de vingt ans. C’est assez rare.
Le néo-hussard est venu jusqu'à moi en vélo hollandais sans âge, noir avec son panier grillagé. Il fait beau et sous un ciel de silence la conversation roulera sans grande rectitude de Drieu à la nouvelle vague, de Bernard Frank à Proust, dans un Saint-Germain inhabituellement désert, comme un 15 août au mois de mai, une promesse de vie légère, lointaine et douce. J'admire son élégance anglaise, ses souliers en daim d'un brun profond sous un pantalon de toile beige, sa chemise bleue et sa veste sombre. On cite Françoise de Maulde,« J’ai sauté la baronne dans Kaboul occupé », on évoque le Taxi mauve et Salinger, le champagne qui gâte le foie et les enfants qui attisent l'inquiétude. On parle de restaurants, de cafés immuables et de ne rien faire de sa vie que lire, voir des films et aimer.
On humera l'air du temps, il finira couché sur le papier, en un petit tas de feuilles A4 qui feront un prochain roman. L'actuel s'intitule Les Insoumis, il relate avec une légèreté empreinte de nostalgie le destin de cinq personnages comme on n’en fait plus, libres, fantasques, brillants et terriblement français. Ils s’appelaient Pascal Jardin, Paul Gégauff, Jean-Pierre Rassam, Maurice Ronet et Dominique de Roux. Il faut absolument le lire si vous aimez la liberté de ton, de penser et de vivre selon son cœur.
Nous nous séparons à l'heure pré-déjeuner, où les parisiens restants commencent à ressurgir et emplir calmement les rues, comme au sortir d’un sommeil trop long. Au loin, dans d’autres quartiers on commence à battre le pavé. J'ai tout de même acheté un brin de muguet en rentrant.
Les Insoumis
Eric Neuhoff
Fayard
168 pages – 16 euros
Que du bonheur, je te souhaite très chair Gentleman!
C'est inouï, MAGNIFIQUE, comme d'habitude comme chantait CloClo!
Sincères salutations Thierry de Mister Richard :).
J'avais vraiment besoin d'un billet doux today!
Rédigé par : Sand | 22 mai 2009 à 19:12
Excellent Eric Neuhoff dont vous confirmez l'anglaise élégance. Et modeste, apprend-on de surcroît. Merci à nouveau du conseil.
Rédigé par : rose chiffon | 23 mai 2009 à 16:30
dommage que la terrasse du Rouquet soit exposée désormais au mégastore RL. mais SGDP en a vu d'autres.
Rédigé par : la flore et la faune | 25 mai 2009 à 15:35