Ouvrir « En bonne compagnie » et en parcourir d’un œil avide les titres de chapitres c’est déjà sentir monter en soi une frustration terrible – celle de n’avoir pu rencontrer les contemporains d’André Fraigneau (1905-1991) – mêlée d’une curiosité de midinette : Radiguet, Dior, Morand, Cocteau, Nimier, Anna de Noailles, que de beau linge dans son carnet d’adresse ! La fine fleur. Celle qui nous manque aujourd’hui. Celle que l’on a connu qu’à travers leurs livres mais dont on aurait, c’est une évidence, apprécié le commerce, une compagnie de qualité. Ecrivain, journaliste, dramaturge, André Fraigneau a donc eu cette chance mais aussi ce talent (sans parler de générosité) que de nous faire partager un peu de cette intimité à travers les articles rassemblés dans ce livre et s’étendant sur une période allant de 1938 à 1970.
Avec une indéniable élégance de ton et de style, une clairvoyance étonnante et un sens de la formule juste, André Fraigneau livre en quelques pastilles ses souvenirs, le témoignage précieux de ses émois et de ses emballements de jeunesse. De cette époque sans télévision, sans radio, presque sans disques où la curiosité était le moteur principal des découvertes artistiques.
En feuilletant l’ouvrage comme on remonte le temps, on choisira ses fréquentations au gré de ses humeurs ou de ses inclinaisons. Passant de l’évocation de la voix de Jean Cocteau (« Je découvris le timbre de sa voix cuivrée, nette et je compris aussitôt qu’elle enchantait parce qu’elle ne permettait pas l’inattention »), aux funérailles d’Anna de Noailles et à « sa minute grecque », en passant par un portrait saisissant de Radiguet et de son « visage d’adolescent à la joue charmante, aux lèvres gercées, qui clignait un peu les paupières en regardant venir ce qui semblait être la Gloire et qui était la Mort ».
Délicieusement raffiné, le récit de sa journée avec Christian Dior est mémorable, sa course aux USA sur les traces des cendres de DH Lawrence épique, sa première rencontre avec Roger Nimier étonnante (« Quelles fêtes, mes rencontres avec Nimier ! »)
Dernier atout de ce livre, il permet également de (re)découvrir un auteur, assez injustement méconnu, et à propos duquel Michel Déon déclarait un jour de 1995 : « C’était un esthète, un véritable entraîneur. Sans lui, Blondin et moi n’aurions pas écrit » . Rien que pour cela on peut remercier André Fraigneau…
En bonne compagnie
André Fraigneau
Le Dilettante
186 pages – 17 €
Je viens de lire votre blog pour la première fois et il est vraiment extra. Quelle plume et quel talent. Je vais le recommander autour de moi. Mille fois merci
Rédigé par : nicholas | 21 juin 2009 à 13:58
Cher Thierry,
Je me permets de retranscrire ton écriture de ton twitter, ici, sur ce billet parlant de littérature :
"La sagesse d'un monde moins avide, une vision mystérieuse faite d'épées rentrées au fourreau et qui brilleront à l'intérieur de l'ombre."
Car sincèrement, il fallait, je devais le faire, souligner combien tu fais toute mon admiration en ces mots recopiés ici, ci-dessus.
Bravo Gentleman chroniqueur du plaisir;)!
Rédigé par : Sand | 22 juin 2009 à 11:00