Pas si facile de mettre fin à ses jours, surtout quand le destin s’en mêle et que la mer refuse de vous avaler. Mauvaise fille, rétive à votre dernière volonté, la voici donc qui vous rejette dessoulé et nu sur le sable à quelques kilomètres à peine de votre vie d’avant. Qu’à cela ne tienne, ce sera donc une nouvelle existence, comme une seconde naissance, qui démarrera là, dans les dunes et les « vertiges nauséeux ».
C’est que le narrateur de Bella Ciao, le dernier livre d’Eric Holder, est un écrivain à la gloire défunte qui ne voit le bout du tunnel qu’à travers le cul des bouteilles qu’il engloutit plus que de raison. Fatigué de ces jours sans issue et de n’être plus qu’un sentiment de dégoût dans les yeux de Mylena, sa femme, il décide un beau matin de se noyer, lui et son chagrin dans les eaux froides de l’Atlantique. Mais le destin en décidera autrement. Revenu à la vie, lui, l’intellectuel, se reconstruira peu à peu dans le travail manuel, les amitiés de comptoir, la fréquentation des petites gens. Une forme de rédemption qui ne se fera cependant pas sans mal, dans l’espoir initial de reconquérir une femme déçue et la considération d’enfants détachés.
On retrouve avec grand plaisir dans ce bref roman la patte discrète d’Eric Holder, faite d’humanité et de légèreté. L’homme excelle à raconter les choses par le menu, en dehors de toute flamboyance, loin de toute sensiblerie, avec justesse et pudeur. Bella Ciao n’échappe pas à cette règle qui valut à son auteur d’être si souvent distingué (Prix Novembre en 1994, Prix Roger Nimier en 1996…) On y accompagne donc le personnage principal dans la simplicité de sa nouvelle vie, faite de mains enflées, de débauchages à 18h, de commérages villageois, de rapports humains à l’emporte-pièce, de non-dits virils et de taillage de vignes sous le soleil d’hiver. On y croise dans des paysages de campagne, des maraîchers, des artisans, des vignerons et, au milieu de tous ces hommes, Colette, la plus jolie fille du café, un peu abîmée, comme une sirène échouée sur le bord d’une route départementale (« Mes pieds se sont collés aux siens et nos jambes s’enrobent. De mon bassin à ses seins, on ne pourrait pas glisser une feuille de papier. C’est doux, ce petit ventre qui rentre dans le mien. »)
L’auteur y dit la tendresse difficile des rapports humains, la petite grandeur des choses accomplies et les voies souterraines qui fondent d’une vie d’homme.
Simple, la langue d’Eric Holder reste toujours empreinte d’une grande poésie qui fait doucement rentrer son lecteur « dans une dimension différente du temps, celle de trouver des formes aux nuages, d’isoler des chants d’oiseaux, de poursuivre une rainette, tandis que les villes vont au train qu’on leur connaît ». Il a ce talent de faire naître tout un monde, une atmosphère, d’un détail, un coin de ciel « délayé de lait », le motif d’un foulard « cher aux peintres préraphaélites anglais » ou une odeur « d’enfants aimés, de mimosa, de vanille, de lys ».
Parfois un peu trop elliptique et souffrant par moment d’un léger manque d’aspérités, Bella Ciao reste néanmoins le très élégant et court récit d’un morceau de vie en forme de résurrection. Fut-elle à la dure.
Bella Ciao
Eric Holder
Editions du Seuil
146 pages - 16 €
Même si je vous lis souvent, assidûment... cette chronique-là, je ne l'avais que survolée. Dès vos premières lignes, cet étrange Boudu sauvé des eaux m'avait accrochée et je ne voulais pas en connaître l'histoire ici mais plutôt passer au Seuil. Voilà que je viens de finir ce roman et je reviens maintenant découvrir avec plaisir votre écho.
J'ai beaucoup aimé cette écriture alliant le beau et le modeste. Les phrases sont brodées au petit point, sensibles, précises: féminines. Leurs images impressionnistes se mèlent avec bonheur à la voix du narrateur, toute en retenue, un peu bourrue, typiquement masculine !
Enfin j'ai adoré la fin, cette rangée de vignes, le retour du patron, la lumière qi se dégage de cette petite scène et... la malice qu'il y a à oser nous planter là !
Je vous remercie pour cette invite à découvrir ce grand petit livre.
Rédigé par : m-alizarine | 29 décembre 2009 à 23:21