Il flotte dans l'air, où volètent encore les fleurs de marronniers en flocons printaniers, un air de grandes vacances. Le soleil, levé tôt lui aussi, troue les hauts feuillages et inonde les avenues désertes, les trottoirs dépeuplés semblant soudainement d’une largeur inhabituelle. On roule vite ce matin, accélérations éblouies, rapides et brèves, de feu rouge en feu rouge. Devantures fermées, rideaux de fer encore clos, Paris semble s'être vidé de sa sève. La police barre quelques rues aux abords du Louvre, on sent obscurément que quelque chose se trame, qu'ailleurs des gens se regroupent, se préparent, astiquent les banderoles et vérifient les mégaphones, que des cars entrent dans la capitale par d'autres portes, loin de nous. On ressent l'imminence d'une action, bientôt ce seront les sifflets, les slogans, la télé et les têtes d'affiche de la politique revendicative. Mais tout cela ne nous concerne pas.
Neuf heures, c’est presque l’aube pour un jour férié. Nous prenons notre café boulevard Saint-Germain, à la terrasse du seul bar ouvert en ce jour chômé, sous les reflets aveuglants du soleil enfin revenu de loin, qui fait sortir les lunettes noires des poches de veston. Je partage le guéridon avec un écrivain français dont j'aime l’œil vif et la pensée cinglante, un peu potache, un peu frondeuse, parfois assassine. Entre deux rires et mots d'esprit, il me confesse préférer les livres des autres aux siens et n'accorder que peu de qualités aux romans qu'il écrit pourtant depuis plus de vingt ans. C’est assez rare.