Il aura fallu attendre dix ans pour que l’auteur d’Ingrid Caven donne – enfin – une suite littéraire à son prix Goncourt obtenu en 2000. Entrée des fantômes, voilà donc l’objet, paru chez Gallimard dans la collection cornaquée par Philippe Sollers L’Infini.
Le nouveau livre de l’auteur de Rose Poussière (1972) s’ouvre sur un roman. Celui d’un mannequin mystérieux, mi-Alice mi-Kate Moss, qu’un non moins mystérieux cardinal de l’église catholique envoie en mission dans les nuits électriques d’une mégapole inconnue. Vingt pages fulgurantes plus loin, le roman s’arrête sur deux lignes de points de suspension. En suspens, donc, l’histoire, en suspens les personnages énigmatiques, les gadgets ésotériques et l’errance téléguidée, de club en club, de la jeune femme troublante dans sa limousine noire. Retour à Paris, début du XXIème siècle, retour à Schuhl. Si vous n’avez jamais pris de drogues, lisez les vingt premières pages de ce roman et vous ressentirez tous les effets d’un trip halluciné et envoutant dans la nuit scintillante et chic d’une ville ultramoderne (« Elle fut ailleurs, nulle part, très haut, un vertige, dans l’Ether, dans les airs, désincarnée »). C’est brillamment écrit, savamment orchestré, dans un rythme (essentiel, le rythme chez Schuhl) hypnotique qui ne vous lâche pas.
Exit le roman donc. Démarre alors, dans une seconde partie, le récit à la première personne d’une nuit parisienne dont Charles, le double de l’auteur (déjà croisé dans Ingrid Caven), est le protagoniste principal. Un récit peu banal en vérité puisqu’il mêle de manière onirique réalité et fiction et suit comme seul fil narratif les divagations de la pensée de l’auteur. S’y bousculent souvenirs, rêveries, méditations, réflexions, dans un coq à l’âne réjouissant et mélancolique. Jean-Jacques Schuhl y embrasse toutes les époques, badigeonne son présent d’épisodes passés et compile au seul fil de sa pensée, toujours prompte à s’échapper (« je préférais donc rêvasser »), amis disparus, vagues connaissances, personnages de roman, de théâtre ou portraits imaginaires. Dans un style toujours aussi impeccablement maîtrisé (« Elle avait toujours sa pâleur diaphane et ce regard en dessous de novice aux troubles pensées coupables. »), le dandy érudit de la rue de Varenne nous livre avec Entrée des fantômes, l’un des plus brillants maraboutdeficelle que l’on ait lu depuis longtemps.
S’y percutent, pêle-mêle, un restaurant chinois de la rue Saint-Roch avec son petit tenancier lettré, son aquarium phosphorescent et son poisson Cardinal, une radio de la hanche version Francis Bacon, les jambes de Christine Keeler et l’affaire Profumo, un illustre cortège de boiteux (Byron et Talleyrand en tête), Mazar, un producteur de cinéma « suicidaire et flamboyant », Raul Ruiz, les Mains d’Orlac, Shakespeare et Richard III, un jeu de cartes conçu par Brian Eno, des pin-ups chinoises au fond des tasses de porcelaine, les sombres couloirs de l’Hôtel Costes, Yves Saint-Laurent et Jim Jarmusch… Pris dans les filets ce savant tourbillon, on se laisse captiver par l’errance de Charles, cet écrivain en panne d’inspiration « souvent distrait de l’écriture », qui se trouve « tellement romanesque » et à qui deux fantômes échappés de Gide et de Bataille apporteront un secours inattendu.
Avec ce livre, on n’est pas dans la vie, pas en dehors non plus, à l’image de cette porte-tambour, ni dedans ni dehors, qui intrigue tant Jean-Jacques Schuhl. Un auteur singulier à qui s’appliquerait presque mot pour mot la description qu’il livre de son mannequin dès la première page : « La jeune fille était poreuse, la plaque hypersensible d’une pellicule TRI.X ultrarapide : tout l’impressionnait, elle reflétait le temps tout le temps. »
André Breton écrivait en 1924 : « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue. » Visiblement Jean-Jacques Schuhl y croit aussi. Et le démontre ici de magistrale manière.
Entrée des fantômes
Jean-Jacques Schuhl
Gallimard
142 pages – 13,90 €
(Reprise de ma critique paru dans le Magazine des Livres n°23, actuellement en kiosque. Vous y retrouverez également mon entretien avec Jean d'Ormesson sur 6 pages. Une vraie gourmandise !)
Salut!
Depuis le temps que je cherchais à t'avoir ailleurs que dans ma " machine ", à t'avoir en " matières fermes et régulières ", c'est donc dans le magazine des livres, ô! comme je suis contente ! Enfin! Je vais pouvoir te transporter dans mon sac, ma valise, sur le siège de ma voiture, sur la ma serviette de plage, boire le café, ô ! comme je suis contente ! Enfin ! 4 euros 95 alors?! Tous les deux mois !! Yes! C'est le prix de mon paquet de cigarettes journalier, imagine le rapport qualité prix, c'est incomparable;)! Quel trésor, enfin! 3 ans presque, 3 ans que je cherche du Richard sur papier transportable, que je chasse et traque partout!
Je ne suis abonnée qu'à un seul magazine, c'est GQ, lui il est à 3 euros 40 mensuel, mais quand je me suis abonnée, un super plan, seulement un chèque de 19,90 et vla qui m'arrive directe dans ma boîte aux lettres et même que j'ai déjà celui d'avril!
Dis-moi Richard ? Etant donné que mainteant que je t'ai trouvé, j'vais m'abonner aussi à Magazine des livres ( et je viens d'aller visiter le site en long et en travers pour voir les autres auteurs! hum! y en a plein d'autres que j'aime en +, le pied complet! ), dis-moi, y-a des avantages aussi quand tu t'abonnes?
C'est combien?
C'est cool! :) Ô! Chui contente!
Rédigé par : Sand | 22 mars 2010 à 10:41
oui, et l'ambiance de chez davé, le garcimore du springroll : un grand plaisir de lecture, en se laissant dériver sur ses phrases et ses glissements.
Rédigé par : la flore et la faune | 22 mars 2010 à 11:17
Merci pour cette critique littéraire, toute en finesse... Et un immense merci aussi pour tous ces moments de plaisir gustatif que vous nous faites partager régulièrement sur votre blog !
Je ne sais pas si c'est l'éloignement récent des tables parisiennes qui me fait réagir ainsi (je suis actuellement à Miami), mais vos commentaires accompagnés de vos photos mettent mes papilles sans dessus dessous. Et ce n'est pas peu dire !
Rédigé par : Jean-Marc | 23 mars 2010 à 17:40
@Jean-Marc : j'aime bien votre blog! Quelle chance de séjourner à Miami,belles photos!
Rédigé par : Sand | 23 mars 2010 à 19:11
@ Sand : les plages de Miami ont-elles autant de charme que celles de Catalogne ?
Rédigé par : Jean-Marc Bellot | 22 décembre 2011 à 23:11