Il est encore tôt. Le soleil hivernal perce les nuages et fait briller le zinc des toits de Paris. Les bouches de métro déversent en toute hâte leurs flots quotidiens d’employés sur les trottoirs. C’est l’heure du jour où l’on bascule vers les nécessités, le moment où débute le règne ordinaire de l’emploi du temps.
On a quitté le demi-sommeil, son lit, la maison, mais on se dit que finalement il est encore trop tôt – on n’est pas vraiment dans l’agitation de la journée. On pourrait être en avance au premier rendez-vous du matin, ou avoir décidé d’un petit moment d’égoïsme après avoir déposé les enfants. On pourrait tout simplement avoir envie de reculer un peu l’instant du devoir. Rester quelques minutes encore dans l’entre-deux.
Alors on entre. On a choisi avec soin son endroit, un café patiné, zinc, vieux miroirs, tables en bois, chaises de bistrot et garçons noir et blanc. La terrasse, même chauffée, ce sera pour plus tard, quand les jours auront rallongé et que les géraniums refleuriront aux balcons des immeubles.
On s’éloigne du comptoir – on a envie de s’attarder un peu non ? Et on s’attable seul, pas trop loin des vitres, pas trop loin de la lumière du jour, pas trop loin de la vie qui trépide au dehors. On sait que l’on va y replonger mais rien ne presse. On savoure ce moment d’exclusion volontaire : « un café et un verre d’eau s’il vous plaît ».
Le café se boit à petites gorgées, la mousse onctueuse, couleur caramel, chatouille la lèvre, beaucoup de douceur, une pointe d’acidité en finale que l’eau apaisera. On pourrait sortir un livre ou travailler un peu mais ce n’est pas ce que l’on veut. On veut du temps pour soi, pour laisser les pensées divaguer sans intention. Les laisser suivre le regard sur la salle, les habitués du matin, les passants du dehors ou au contraire s’extraire, les yeux dans le vague, vers de plus lointains paysages. Rêvasser.
Parfois les journaux du jour sont là qui traînent. On en prend un, on tourne les pages sans se presser, sans tout lire non plus, titres, inter-titres, chapeaux, légendes, on glane. Un article pas trop long, pas trop compliqué – le Proche-Orient, les OPA et les réformes attendront – on n’est pas là pour ça. On refuse toute pesanteur. Car on est là pour profiter d’un peu de temps suspendu, un plaisir d’inertie et de quiétude. On reprend une gorgée de café mais voilà, il est déjà temps.
On se rhabille alors, pas trop vite – pourquoi se hâter – puis on pousse la porte. Et c’est le bruit de la rue qui le premier vous frappe et referme la parenthèse. On presse alors le pas. De peur que la vie des autres ne nous rattrape trop vite.
C'est avant de me lever, entre l'horrible sonnerie du réveil et la décision de commencer la journée, que je préfère trainer!
Rédigé par : morgane | 01 février 2007 à 00:18
Demain le café-clope, c est mort.
Rédigé par : MOUTON NOIR | 01 février 2007 à 09:43
C'est bizarre, je n'ai jamais associé l'idée de petit noir avec celle de la pause, de la paresse ou de la rêverie, ni même de la dégustation. Ca porte bien son nom, un express : ça se boit en deux gorgées, comme un shot de caféine en intraveineuse, et zou ! c'est reparti pour la suite de la journée.
Rédigé par : Thomas Mossian | 05 février 2007 à 18:32
Thomas > Il faut prendre son temps pour l'apprécier. Et surtout ne pas systématiser cette petite pause du matin, c'est sa rareté aussi qui lui donne sa saveur.
Rédigé par : Thierry | 05 février 2007 à 18:54
Très très joli billet, finement écrit !
Si je pouvais faire la même chose que toi le matin !!
Rédigé par : Fanette | 07 février 2007 à 11:13
Voilà un article auquel il ne manque que l'odeur !
Je note cependant une certaine douceur dans le style ... qui laisserait imaginer un décaféiné ;)
Rédigé par : bregman | 23 février 2007 à 23:24
ça m'est arrivé quelques fois de faire cette pause matinale (arrivée trop tôt à un rendez-vous, trompée d'une heure en me levant...)
on a l'impression de voler quelques minutes à l'emploi du temps chargé de la journée, j'adore.
Rédigé par : solenne | 28 février 2007 à 10:06
Solenne > C'est tout à fait ça, une petite dérobade, un extra imprévu. Que du plaisir !
Rédigé par : Thierry | 28 février 2007 à 10:45
Jolie écriture... qui me donne envie d'un petit noir. Allez promis demain un zinc, un noir !
Rédigé par : David | 05 mars 2007 à 20:01
David > Bienvenue ici. Et bon café au comptoir demain ! Encore quelques semaines et c'est en terrasse qu'on le prendra...
Rédigé par : Thierry | 05 mars 2007 à 22:45
j'adore ce petit noir avec un petit carré de choco noir!
Rédigé par : leonine19 | 18 avril 2007 à 21:37
Ah oui, un bon café, une brioche et un bon magazine, et... on va se recoucher... Le bonheur du week-end ! :-)
Rédigé par : liputu | 18 avril 2007 à 21:45
Quelques instants volés au temps... respirer et savourer ce café du matin. Rêver, flâner. Instants incomparables !
Rédigé par : joce | 07 juillet 2007 à 14:49