Où que l’on parte en vacances, on revient toujours les bras et les valises chargées de souvenirs. Mais que cherche-t-on en achetant à tour de bras ces objets d’ailleurs, du coin de la rue ou de l’autre bout d’un monde inconnu ? Est-ce le sentiment égoïste et finalement illusoire d’acheter un peu du bonheur des vacances, d’arracher une parcelle de l’esprit des lieux visités pour les rapporter dans nos bagages et les introduire dans notre quotidien de retour afin de revivre à loisir ces instants de bien-être disparus ? Allez donc savoir…
Mais, une chose est sûre, ils sont partout les objets rapportés de nos voyages. Qui ne les a jamais croisés dans une maison de vacances, chez des amis à la campagne, dans un salon, une vitrine, un bureau aux étagères surchargées de livres, une chambre d’amis ou un grenier, ces masques africains sans âge, ces étoffes indiennes réincarnées en coussins boudinés, ces tableaux naïfs aux couleurs trop vives qui font crier les murs, ces vases, ces statuettes poussiéreuses, ces posters d’adolescence à peine mis sous verre, tous ces bibelots étranges disposés ça et là au gré des déménagements, des changements de goûts, des héritages et des mises au rebus ?
On a grandi. Mais l’esprit de nos seize ans perdure. Le temps où, à chaque retour, on mettait tout dans une boîte. Une petite boîte en bois rapportée de là-bas : papier de riz doré, cartes et notes de restaurant, plans de villes froissés, quelques cartes postales arrachées à la torpeur de temples et de musées, horoscope chinois du nouvel an, un solde de billets et de pièces inchangé, quelques tickets de bus et de train usagés. Un condensé de voyage qui finissait ses jours sur la plus haute étagère du placard le plus éloigné d’une maison de campagne.
On se disait qu’on l’ouvrirait quand on serait plus vieux, quand on aurait du temps, même si l’on sentait confusément que l’on aurait toujours mieux à faire que de courir après ces souvenirs.
Mais le plus important n’est, me semble-t-il, jamais dans ce matérialisme-là. Ce qui importe vraiment – et c’est le temps qui en la matière établit honneurs et hiérarchie – c’est ce que nous rapportons en nous, ces sensations de voyages que la mémoire tamise et qui nous constituent singulièrement.
C’est pour cela que je ne suis pas adepte des carnets de voyage que l’on remplit soi-même au fil des jours, fussent-ils illustrés de croquis naturalistes ou d’aquarelles à l’anglaise.
C’est une chose étrange, soit dit en passant, que ce goût immodéré des anglais pour l’aquarelle, que je ne peux m’empêcher de rapprocher, pour d’obscures raisons, de leur passion ornithologique, ne me demandez pas pourquoi. On pourrait l’expliquer par la géographie si particulière des îles britanniques faite de vastes ciels aux couleurs changeantes et d’immensités maritimes que la subtilité et la transparence de l’aquarelle savent si bien évoquer.
Bref, ces carnets ne me semblent faits que pour les autres, ceux qui en les parcourant vivront par procuration un peu de ces lointains paysages, tout juste balayés par la simple brise des pages que l’on feuillette, à la sauvette, dans une librairie de quartier.
Ainsi donc, je préfère la sensation de se laisser pénétrer par les moments vécus au loin (il en restera nécessairement quelque chose lorsque le temps aura joué son rôle) et suis convaincu que seules les émotions les plus fortes, les plus éminemment singulières franchiront l’impitoyable filtre de notre mémoire. Pour mieux ressurgir à l’improviste, au détour de nos vies présentes.
En ce sens, je rejoins Marcel Proust, dont, faut-il le rappeler ?, toute l’œuvre ne cessa de tisser les fils de ses souvenirs, qui écrivait avec infiniment plus de style et de justesse :
«Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.»
Ainsi, aujourd’hui encore, si je m’échappe et évoque quelques émotions étrangères passées, je peux revivre – je devrais dire ressentir – sans difficulté, la saveur d’un Risotto Alla Milanese dégusté à l’ombre de la Scala, l’immensité et la folie vibrante de la foule de Hong-Kong et ses odeurs de ville moite, le gigantisme des trottoirs de New-York sous une pluie fine de Printemps, la chaleur du bois patiné de cigares d’un gentlemen’s club de St-James Street, la fraîcheur d’une nuit au goût iodé passée sur le pont d’un bateau en route pour les Cyclades et des milliers d’autres sensations encore.
Il n’y a qu’à les invoquer. Ils sont bonhommes et dociles ces souvenirs de vacances – ils affleurent à la moindre demande et sans trop se faire prier – trop heureux d’exister encore. Il n’y a qu’à les laisser faire et se laisser emporter. Plus besoin de boîte en bois alors.
J'aime les souvenirs de vacances. Pas la selle de chameau qu'on rapporte d'Algérie, qui est belle là-bas mais ne ressemble à rien dans notre intérieur déco, qui prend en plus la poussière...
Moi ce que j'aime ce sont les photos, les souvenirs, les moments intenses vécus sur place.
Tout à l'inverse des touristes quoi.
J'aime les petits restaurants cachés, j'ai d'ailleurs un souvenir merveilleux d'un petit "restaurant" de pêcheur en Floride, moitié bateau moitié plancher (qui craque), rien n'est d'équerre, mais on y mange les meilleurs shrimps du monde, presque sur la table !
Quand je voyage, je ne fréquente que (très) peu les lieux touristiques, par contre je me fonds dans la masse, je vais dans les grandes surfaces et épicerie et rapporte des épices locales, des spécialités culinaires et ce genre de choses là. Pour faire perdurer le déppaysement.
Je pense comme toi également concernant les carnets de voyages, je les trouve très beaux mais je n'aime pas les compléter moi-même. Par contre je rapporte des livres de cuisine.
Aaaaaah les vacances...
J'aime partir mais aussi revenir car avec mes livres et mes épices, ce sont les vacances toute l'année chez moi !
Rédigé par : Poutchi | 14 mars 2007 à 14:05
Ton texte est très beau et très vrai. Rien ne vaut finalement les souvenirs que l'on a en tête. les souvenirs matériels sembent toujours être un peu déracinés une fois chez soi non ?
Rédigé par : pascale | 14 mars 2007 à 21:24
Humm ça faisait un moment que je ne m'étais pas laisser aller à tous ces merveilleux moments loin de tout, de tous, je crois que je vais passer une sublime soirée et nuit grâce à ces évocations. Merci de m'avoir réveillé, ça fait du bien !
Rédigé par : Gourmande | 14 mars 2007 à 22:33
comme d'hab mon commentaire est attibué à quelqu'un d'autre, pas grave mais dommage. merci quand meme
Rédigé par : Gourmande | 14 mars 2007 à 22:34
Bonsoir.
Tout d'abord un grand merci pour votre mail ... et un grand merci pour ce nouveau post. Les voyages et les souvenirs ... c'est drôle mais j'ai rarement ramené de souvenirs matérialistes de mes vacances pour moi-même. J'ai toujours préféré quelques clichés (voire beaucoup de clichés même parfois) pour moi et apporter des cadeaux souvenirs pour les autres, une manière de partager mes souvenirs avec eux. Mes souvenirs de vacances sont intimement liés aux différentes saveurs mais aussi aux musiques qui m'ont accompagnée durant tout le trajet, parfois une musique locale, le tube du moment ou encore une musique écoutée en boucle dans mon iPod. Ce soir, je ferme les yeux en écoutant quelques musiques précises et les images de mes dernières vacances me reviennent instantanément... Souvenir, souvenir ! Merci pour ce post.
Bons baisers de Paris.
Flower
Rédigé par : Flower by Kenzo | 14 mars 2007 à 23:38
Je suis tellement d'accord...
Les souvenirs, pour moi, c'est avant tout dans la tête, le coeur. Une odeur, un parfum, un bruit, une sensation... suffisent parfois à rappeler tellement plus de choses qu'une simple photo prise "parce qu'il faut prendre des photos", ou "parce que tout le monde mitraille".
Alors bien sûr, les quelques souvenirs matériels rapportés de voyage, je les ai aussi, comme beaucoup de gens. Mais ce n'est pas grâce à eux que je me souviens. C'est grâce à ma mémoire... même si les choses vont en s'effaçant peu à peu, ce sont les moments les plus forts et les plus marquants qui restent, bien gravés eux, comme tu le dis si bien...
Rédigé par : Katia | 15 mars 2007 à 13:47
Entendu hier : la mémoire d'un touriste est d'environ 6 mois... donc il ne resterait que de vagues souvenirs???
En attendant le Risotto me fait saliver (tu as quand même réussi à placer un truc de bouche dans ton texte!!)
Rédigé par : Frogita | 18 mars 2007 à 22:40
Il y a de très bons restaus à New York, mais un simple hot dog en allant au met, comme les new yorkais (à New York fait comme les new yorkais!), c'est très bien aussi!...
Rédigé par : mariemadeleine | 26 mars 2007 à 23:49