C’est un des vrais plaisirs de ce métier. Oublier un temps les têtes de gondole, les gros titres et les cantines dans le vent pour dégoter presque par hasard la petite adresse improbable, inattendue, réjouissante, une de ces découvertes charmantes qui font de vous l’égal d’un Bougainville ou d’un La Pérouse des plaisirs de la table.
Celle-ci nous attend, blottie dans son petit repaire paisible, au fond d’une rue secrète du 16ème qui longe le Palais de Tokyo et débouche sur la Seine, en face de surprenants petits jardins potagers et au pied d’un escalier monumental glissant gentiment des hauteurs de Passy.
Une large devanture brune de café du commerce ouverte aux quatre vents sous un store jaune d’or, des tables de bistrot en terrasse colonisant aux beaux jours un modeste trottoir, nous sommes aux Marches du Palais.
Et c’est une vraie bonne surprise.
Les Marches du Palais jouent pleinement la carte discrète du bistrot de charme, tables de bois sombres, usées, sans nappe, serviettes blanches, verres ballon, chaises de bistrot, carrelage beige sans âge, des affiches de bains de mer Années 30 en décor sous de vieux lustres à boules. Dans un coin, les journaux du jour sont à la disposition des habitués solitaires.
Des deux grandes salles qui se succèdent, il faudra préférer la première, vaste, lumineuse, aérée (il n’y a pas de salle fumeur) et jouissant du voisinage agréable d’un immense bar de bois foncé, patiné du fil des jours, et de ses grands bouquets de fleurs blanches.
Le menu que l’on nous apporte s’inscrit sur une carte aux lettres Modern Style et au carton jaune pâle, bien dans la tradition que cet établissement revendique d’une ambiance de bistrot dans son jus, presque désuet et un peu provincial dans son attitude réservée.
La carte est courte et on y trouve pêle-mêle des classiques, œuf mayo, ravioles de chèvre, poireaux vinaigrette, cabillaud, parmentier de canard, foie de veau et tarte tatin mais aussi du goût du jour, jésus et museau mariné aux pickles, tartare de daurade sauvage, tarama d’oursin, œuf en gelée et foie gras en verrine, magret et purée de céleri caramélisée, crème brûlée cacahuète et cassis, soufflé glacé à la cerise...
On opte, quant à nous, pour la facilité d’une formule du jour à 21 € et son pot de Coteaux du Lyonnais (Gamay) malgré une carte des vins sur ardoise, longue comme un Tour de France et riche de petits vins de propriétaires, mêlant classiques et « hors des sentiers battus », bref, de quoi trouver son bonheur à moins de 30 € (on regrettera cependant la quasi-absence de demi-bouteilles).
Il est 13 heures et les salles se remplissent comme un soir de générale, la foule des voisins se disperse, s’attable dans un brouhaha bon enfant, donnant soudainement à ce lieu, si paisible un instant plus tôt, des airs de cour de récré. Le volume sonore prend quelques décibels et la vie du midi s’installe, détendue, comme une longue parenthèse.
Arrive notre entrée, une « Galantine de Volaille Maison », deux belles tranches de galantine accompagnées d’une petite salade anecdotique. Bien que très moelleuse, la volaille me semble un peu trop hachée, beaucoup d’herbes, une pincée de gros sel, une gelée à peine perceptible, quelques morceaux de poulet disséminés ça et là qui évitent l’écueil du gras. Le goût est franc, direct, sans grande finesse certes mais fort agréable.
Notre conversation badine, amusée, sur le petit monde de la critique gastronomique parisien – je déjeune avec un ami journaliste – s’accorde bien à ce Gamay simple et joliment tourné. Ce pot-là, c’est tout ce que l’on peut attendre d’un petit vin de soif, léger et fruité. Sans grande ambition mais bien élevé.
C’est alors que le morceau de bravoure pointe le bout de son assiette : « Quenelle de Brochet, Riz rose du Kerala et Bisque d’étrilles ». Elle arrive brûlante et déjà le jus d’étrilles embaume la table. Deux grosses quenelles sont posées au sommet un monticule de riz arrosé de sauce orangée. La portion est généreuse. L’aspect de la quenelle, manifestement « maison », déconcerte, elle s’apparente plus à de la cervelle avec ses reliefs rugueux qu’à une quenelle Giraudet, lisse et bombée. Une bouchée et c’est un régal. Elle se révèle d’une légèreté de mot d’esprit, si proche d’un soufflé et fond en bouche en quelques secondes. Le riz est cuit comme il faut et résiste un peu sous la dent. Le jus d’étrilles relève avec bonheur la douceur de la quenelle, il est peut-être un peu trop liquide mais c’est de peu d’importance. C’est la légèreté qui emporte tout ici. La très belle réussite de ce repas.
On conclura sur un « Mont-Blanc », dessert en verrine revisité, servi dans un bocal de grand-mère, crème de marron en fondations et colonne de Chantilly en neiges éternelles, qui aurait mérité un peu plus de caractère. Mais l’appétit a déjà quitté les sommets pour rejoindre la vallée alors que nous passons en revue les restaurants mutuellement visités les semaines précédentes. Le monde ne pourrait être plus petit. Un œuf de caille. Une bille de Beluga. A peine.
Aux Marches du Palais
5, rue de la Manutention
75116 Paris
Téléphone : 01 47 23 52 80
Formule du Déjeuner à 21 €
Sinon, comptez autour de 30 €
Merci pour cette adresse et sa carte alléchante...
Rédigé par : Tiuscha | 26 juin 2007 à 13:25
Dans un genre -très- différent, une alternative pour moi aux déjeuners parfois très bruyants au Tokyo Eat ... Merci !
C'est vrai que la quenelle a, quand même, une drôle de forme !
Rédigé par : eva | 26 juin 2007 à 14:03
Bien le prix! Ma pt'ite soeur n'habite pas très loin ..je lui dirai, son mari est un grand chef, ils vont certainement aller voir ça!bye
Rédigé par : MamSand | 26 juin 2007 à 15:37
Ca n'a "presque" rien a voir mais je viens de reperer les photos en lien sur ESPRIT THAI...
C'est vrai que tu es alle la-bas !
Et c'est plutot marrant de voir d'autres photos d'un endroit qui finit par m'etre tres [trop ?] familier...
g.
Rédigé par : g. | 26 juin 2007 à 16:16
Même si vous êtes un grand découvreur comme La Pérouse, je ne vous souhaite pas de finir comme lui !
Rédigé par : Thaïs | 27 juin 2007 à 09:17
Ce nouvel article se faisait désirer...
Particulièrement agréable d'imaginer Bougainville s'aventurant dans les eaux tumultueuses de la gastronomie :-)
Une petite musique pour accompagner le tout n'aurait pas été de trop, ayant tout particulièrement apprécié ton dernier écrin, je t'encourage vivement à continuer le voyage des sens...
Rédigé par : Une princesse... In & Out The City | 27 juin 2007 à 09:30
Tiuscha, MamSand > C'est une vraie bonne adresse, injustement méconnue mais pourvu qu'elle le reste encore un peu ! ;-)
Eva > Tu m'étonnes ! Comme quoi l'habit ne fait pas le moine...
g. > La Thaïlande, j'ai adoré. Beauté, dépaysement, gentillesse, et quelle cuisine !
Thaïs > Au contraire ! Quel destin que celui de disparaître en mer en laissant derrière soi le mystère de sa mort. Très romantique non ?
Princesse > En avant la musique ! Je vais voir ce que je peux faire pour continuer à mettre de la musique sur ce blog. C'est vrai que ce serait une bonne idée d'accompagner les critiques de thèmes musicaux...
Rédigé par : Thierry Richard | 27 juin 2007 à 09:55
@Thierry : Romantique peut-être,(quoiqu'il ait peut-être survécu quelques années sur une île et dans quelles conditions. ), si tôt ?
Rédigé par : Thaïs | 28 juin 2007 à 12:57
Thaïs > Effectivement je trouve aussi que c'est encore un peu tôt ! ;-)
Rédigé par : Thierry Richard | 28 juin 2007 à 15:18
C'est vrai très très bonne adresse, le hasard d'un soir de Tokyo Eat complet nous a conduit dans cet endroit qui est devenu un classique. Service irréprochable, plats simplissimes mais fabuleux, ah le foie de veau ! Merci de parler de ces lieux qui ne sont pas à la mode mais qui valent vraiment le détour.
Rédigé par : Zimzalabim | 13 juillet 2007 à 18:31