Est-ce le ciel pesant d’un automne en rodage qui fait ses gammes sur nos humeurs ? Est-ce la morosité d’une rentrée qui s’attarde dans les mauvaises nouvelles radiophoniques ? Ou ne serait-ce pas, finalement, l’insécurité bancale d’une gastronomie moderne qui se cherche aux quatre points cardinaux sans boussole ? Toujours est-il que la nostalgie semble depuis quelques semaines repointer à chaque coin de rue son nez à bésicles et ses regards dans le rétro : le Figaroscope ausculte les restaurants « historiques » de la capitale, François Simon retourne chez Maxim’s et, dans la foulée, sa veste à la Tour d’Argent, Christian Millau (oui, le Millau de GautMillau, 1959) publie un ouvrage à l’ancienne sur la petite comédie humaine du restaurant d’aujourd’hui, et moi, je pousse de nouveau la porte du Café de la Paix. On a vu plus avant-gardiste !
Et pourtant. Vous savez bien que la vie est un tango dont on savoure tous les pas.
Bon, il est vrai que le Café de la Paix, régnant sagement sur son coin de la place de l’Opéra depuis 1862, c’est un peu un fragment de l’histoire gastronomique parisienne, un petit bout de patrimoine vert et or, le charme d’un Paris envolé… On y sent l’ombre silencieuse de prédécesseurs illustres, on s’attend à y croiser Marcel (Proust), Jacques (Offenbach), Caroline (Otero, la belle) ou Napoléon (III), on se remémore Hemingway n’ayant pas assez d’argent pour y payer son dîner et laissant sa femme Hadley en otage au bar le temps d’aller chercher la somme nécessaire.
Un lourd héritage en fin de compte qui vous tire en arrière et vous ferait vite passer pour une antiquité vétuste, aux manches élimées, à la clientèle clairsemée, d’un autre âge, une sorte de vaisseau fantôme qu’on visiterait en touriste comme un Madame Tussauds.
Sauf que le Café de la Paix, en réalité, a réveillé ses ambitions, secoué la poussière de sa mémoire de restaurant et réclame maintenant sa part de temps présent.
Rénové récemment, sous de hauts plafonds à caisson peints en trompe-l’œil, son décor donne dans le luxe historique qui fait baisser la voix, de grandes salles, des tables espacées, des colonnes, des ors, de l’acajou, des meubles Second Empire, des fauteuils à médaillon, des banquettes de velours d’un rouge profond, des potiches en Céladon, des fresques de Garnier aux murs, le vert Empire omniprésent dans les abat-jours et la moquette – une moquette si épaisse qu’elle vous fait murmurer – tout y est incitation au calme et à un confort bien né, tout pousse à la tranquillité de l’âme et aux plaisirs de la conversation.
Certes, la carte convoque toujours le banc et l’arrière-banc de son passé prestigieux, son plateau de l’écailler « Café de la Paix » (huîtres, clams, palourdes, amandes, bulots, tourteau, langoustines et crevettes), son Turbot poché, son Gratin de homard, son Suprême de volaille et son Millefeuille Napoléon. Mais l’arrivée d’un jeune chef, Laurent Delarbre (Meilleur Ouvrier de France 2004, passé à la Tour d’Argent, chez Lasserre et au Ritz), décoiffe – avec légèreté, rassurez-vous – la tradition avec une cuisine classique-contemporaine précise, imaginative sans être déroutante, faisant la part belle aux produits nobles (on est au Café de la Paix tout de même) mais travaillés dans la simplicité, l’élégance et privilégiant la limpidité du propos sur l’épate à tout prix.
Ainsi, j’y ai goûté les plaisirs d’une « Escabèche de calamars au vinaigre balsamique », un léger bouillon frais, à la fois doux et légèrement acidulé dans lequel on trouve pêle-mêle, petits légumes croquants (carottes, oignons…), calamars, poireaux émincés, nombreuses herbes, le tout surmonté de quelques feuilles de salade et accompagné d’un croûton de pain à l’huile d’olive. Le bouillon est d’une fraîcheur exemplaire, les calamars cuits à point sans être caoutchouteux, l’équilibre de l’assaisonnement est millimétré. C’est très joliment présenté, sans artifices, simple et nu comme l’origine du monde. Un monde qui tournerait rond dans les yeux d’une jolie femme assise en face de vous.
Une belle entrée en matière donc, mais mon véritable bonheur du jour, je l’ai trouvé dans une « Brandade de morue et artichauts marinés » étonnante. Elle arrive « décomposée » : un beau morceau de Morue, de la ciboule, une émulsion crèmée, trois demi-artichauts en couronne, le tout posé sur un lit de pommes de terre écrasées en purée où subsistent quelques morceaux tendres. L’idée est épatante et la présentation irréprochable, dans une belle assiette de porcelaine blanche. Le poisson est d’un beau blanc nacré, cuit à la seconde près, ferme, aux saveurs délicates, la crème et la purée apportent leurs notes de douceur et l’artichaut joue sa partition en contrepoint. Un mélange de textures intéressant, juste quelques saveurs nettes et un remarquable équilibre dans une présentation inattendue. Voilà un plat comme je les aime. Clair, sûr de lui et subtilement élégant.
Son compagnon idéal ? Un verre de Pouilly Fumé de Pascal Jolivet (2005), servi frais, avec une belle robe jaune pâle, léger, spirituel, doux avec des arômes bien présents de fruits jaunes, de pêche et d’abricot.
L’estocade sera portée par un « Sablé, fruits rouges et sorbet fromage blanc », avec d’un côté le sablé en construction étagée (une première rondelle, surmontée de fraises et myrtilles avec une crème légère, puis une seconde rondelle sur laquelle reposent les framboises en corolle et leur petite mousse) et de l’autre une belle glace au fromage blanc en forme d’amande reposant sur un petit crumble rappelant la texture du sablé. C’est très bien construit, un équilibre de douceur avec le grain tendre et friable du sablé et le fondant de la glace servie fraîche mais pas glacée (c’est la température idéale). La glace donne dans des notes subtiles à peine sucrées, jamais écœurante avec une texture qui tient la distance sans s’avachir au bout de trois minutes. Une belle composition toute en légèreté et chic, rose et blanche, un bien joli exercice de style, un dessert aguicheur, finalement très féminin. A croquer !
Mon seul regret, mais qui voile un peu le plaisir, fut le service, qui de courtois et réservé devient vite distant, voire négligent (« ce n’est pas moi qui m’occupe de vous, demandez à ma collègue ») et la lenteur qui peut devenir pénible à la longue (une attente largement excessive pour le dessert, sans parler des trop longues minutes pour obtenir l’addition). Un peu plus de considération et d’efficacité seraient plus que bienvenues dans un établissement tel que celui-ci, aux ambitions clairement affichées.
Mais franchement, déjeuner ou dîner au Café de la Paix, c’est un souvenir parisien à s’offrir. Hors de prix me direz-vous ? Pas du tout (enfin, si, un peu quand même), car en évitant les gouffres de la carte des vins –culminant tout de même à 1 100 euros avec un Pétrus 93 (Pomerol) – et en se concentrant sur les menus, on peut tout à fait s’offrir à bon compte un délicieux moment de luxe paisible et romantique dans un décor admirable qui vit s’assoir avant vous Maupassant et Oscar Wilde.
Un luxe accessible en somme.
Café de la Paix
12, boulevard des Capucines
75009 Paris
Téléphone : 01 40 07 36 36
25 € pour un plat
35 € pour une entrée+plat ou plat+dessert
45 € pour les trois
Comptez environ 60 €
En voilà un que je connais, et que j'ai apprécié, il a été le lieu de notre première rencontre Deedee et moi... et non ce n'était pas un rdv galant ;))
j'ai aimé ce charme "belle époque"...
Rédigé par : poutchi | 16 octobre 2007 à 16:14
Ah tous les thés que j'ai pu boire là-bas avec mon meilleur ami en sortant de chez Old England...et cette impression d'être coincée quelque part entre le IInd Empire et aujourd'hui...
Rédigé par : Mlle E | 16 octobre 2007 à 17:54
La dernière fois que j'y suis allée, c'était il y a 2 décennies avec mes garçons et mon mari et j'avais eu le plaisir d'y croiser Francis Huster alors pensionnaire de la Comédie Française. Bon je ne me souviens pas de ce que j'avais dégusté, cela compensant ceci.
Rédigé par : Akme | 16 octobre 2007 à 18:12
Salut !!! J'aime beaucoup l'adresse : 12, Boulevard des Capucines, ça sonne comme des petites fées clochettes. Le Pomerol, c'est excellent et Oscar Wilde, un bien joli nom, il sonne aussi comme le son d'une tige en fer sur le triangle, il raisonne dans l'aigù...Moi, je n'aurai pas pris de dessert, mais plutôt un café et chocolat noir. Par contre, j'aurai posé près de mon café (de la paix), le Millefeuille Napoléon, juste pour le regarder des yeux.
Lorsque j'habitais à Perpignan, il y avait un restaurant que celui-ci ma rappelle, à chaque fois que j'y allais manger, ce décor, cette ambiance...C'était comme une salle de danse où non le tango mais la valse, la valse de tout, du moindre petit détail m'emportait avec lui. Son nom : Le Chapon fin, c'était aussi bien...
Merci pour tous ces mots accordés comme les notes du violon, c'est magique de manger avec un violon.
Bonne journée Monsieur le Gentleman !
Rédigé par : Sand | 17 octobre 2007 à 08:02
C'est très tentant. Y a-t-il un salon, un endroit un peu à l'écart (pour prolonger la parenthèse sans gêner les autres) qui soit cigar friendly ?
Rédigé par : Benoît Wagner | 17 octobre 2007 à 11:47
La dernière fois que j'y suis allée, c'était super nul. Bon, d'après ton article,ça a l'air bien. Peut-être on essayera de nouveau lors d'un prochain passage à Paris.
Rédigé par : Anne | 17 octobre 2007 à 16:03
Pour plagier un de vos lecteurs, je répéterai simplement qu'il faut mieux vous rendre visite l'estomac plein que vide ! Je suis affamée et le réfrigérateur est toujours vide !
Cela dit, je passe à Paris cette semaine et grâce à vous je connais déjà et le menu et l'endroit où je vais aller déjeuner ! Merci
Rédigé par : Gicerilla | 17 octobre 2007 à 19:39
merci pour cette note
on se croirait transporté à la belle époque
et ça change du langage sms quinous trahis souvent !
(pfiouuu suis arrivé au taf' sans encombre et vous ?)
Rédigé par : abigoudi | 18 octobre 2007 à 09:58
Poutchi > On attend le commentaire de Deedee !
Mlle E > La salle du restaurant est une salle encore différente de celle du Café, elle-même déjà magnifique...
Akme > Je ne savais pas que Francis Huster était au menu !
Sand > "Le Chapon Fin", un nom formidable, il sent son Flaubert...
Benoît > Malheureusement, le restaurant est non-fumeur si je me souviens bien. Il faut alors pousser jusqu'à la Verrière du Grand Hôtel, tout proche, pour déguster une belle vitole. Mais au 1er janvier, tout cela ne sera plus qu'un doux souvenir...
Anne > Le Chef a changé mi-2006, il n'est donc là-bas que depuis un peu plus d'un an. Tu y es allée avant ?
Gicerilla > Effectivement, peut-être vaut-il mieux choisir ses horaires de passage. Ou s'ouvrir l'appétit ici...
Abigoudi > Merci ! Pour tout vous dire, aujourd'hui je fais l'école buissonnière.
Rédigé par : Thierry Richard | 18 octobre 2007 à 11:40
Une adresse que j'ai envie de tester depuis pas mal de temps (tu n'es pas le premier à m'en faire l'éloge). 60€ pour cette salle mythique avec des plats qui ont l'air de vraiment tenir la route, ça ne paraît pas très cher.
Rédigé par : Fabrice I. | 22 octobre 2007 à 21:54