On dit la cuisine française en crise, égarée dans l’impasse de la tradition étoilée, larguée par la modernité de l’époque et vidangée de toute créativité. C’est en tout cas ce qu’affirment, non sans quelques raisons – il faut bien le reconnaître, la distinction déserte parfois les plats de nos chefs et les salles de nos restaurants – les observateurs étrangers.
Mais cette prétendue débâcle mobilise à l’arrière, elle décuple les énergies et fait monter au front son lot de jeunes recrues. Ainsi, piquée au vif, la jeune garde de la cuisine française retrousse ses manches et donne du porte-voix.
C’est tout le sens de l’opération « Fou de France – Food France », déclenchée il y a 3 ans par Alain Ducasse : montrer au monde entier que la cuisine française n’est pas dépassée, loin s’en faut, qu’elle bouillonne de nouveaux talents et qu’elle sait relever le double défi de l’ouverture et du renouvellement. Près d’une cinquantaine de jeunes cuisiniers de province, triés sur le volet, prêts à en découdre, se sont donc succédé d’abord à Paris, à la table de l’Hôtel Plaza Athénée, puis au Japon, à Tokyo, pour faire la démonstration de leur habileté et de leur créativité.
Ce sont 44 de ces chefs que Laurent Seminel (journaliste gastronomique, co-fondateur avec Luc Dubanchet du mensuel Omnivore et aujourd’hui éditeur) a rencontrés et dont il dresse, avec beaucoup d’humanité, le portrait dans « Fous de Food ».
Humanité, car ici pas de technique, pas d’ingrédients, pas de recettes, pas de tournemain mais une cuisine vue à hauteur d’hommes, de leurs aspirations, leurs vocations, leurs désirs. Ce qui passionne l’auteur c’est « l’homme caché derrière ses casseroles », comprendre le cheminement de chacun ou au moins l’effleurer, entrevoir ce qui fonde leur cuisine, ce qu’ils puisent dans leur parcours, leur entourage, leur territoire pour nous le restituer en nourritures originales, audacieuses, ludiques.
On y rencontre, le temps d’une double-page, les destins individuels de Jacques Decoret, Nicolas Le Bec, Eric Guérin, David Zuddas, Laurent Peugeot, Valérie Saignie, des jeunes, des un peu moins jeunes, des prédestinés-depuis-le-berceau, des vocations tardives, des étoilés, des sans grade. Autant de visages de la jeune cuisine française que Laurent Seminel illustre de portraits photographiques d’une grande sobriété qui eux-aussi en disent beaucoup, dans un regard, une posture, sur la joie d’être là, l’impatience de la renommée, les sacrifices consentis aussi. Autant d’histoires de cuisiniers que seul le simple rappel du détail des menus composés pour « Food France » concrétise savoureusement.
Exemples ? Morilles fraîches d’orage, vin jaune et rôti de comté au cerfeuil de Nicolas Pourcheresse. Velouté de lentilles à l’huile de noisette, haricot coco et escargots du moulin de Jouatou de François Gagnaire. Loup de petite pêche, moutarde de poivrons et poutargue de Davide Bisetto. Risotto carnaroli aux courgettes trompettes, langoustines de Méditerranée de Jouni Tormanen. Oursin en gelée de crustacés, crème froide au fenouil d’Arnaud Lallement. Macaron amandes aux premières fraises Garriguette, compotée de rhubarbe au poivre blanc et sorbet citron au basilic d’Olivier Boizet.
De quoi nous donner envie de prendre le train, l’auto ou l’avion pour battre la campagne et aller goûter « in situ » la cuisine de cette nouvelle génération, bienvenue, talentueuse et intrépide.
Fous de Food
Textes et Photographies de Laurent Seminel
Préface d’Alain Ducasse
Editions Menu Fretin – 48 €
Il y a quelques mois, je m'y serais volontiers intéressée, mais je dois admettre que depuis quelques temps, je suis lasse de la cuisine française, de la gastronomie qu'on nous impose, je suis de moins en moins surprise et les dernières désillusions ont fait que je n'ai plus envie de fréquenter les "grands" restaurants.
Où, ne l'oublions pas, nous laissons une grande partie de notre salaire.
Les étoilés ont un statut à maintenir, ok, mais pas à n'importe quel prix !
Alors, excuse moi Thierry, mais je préfère m'en retourner à mes petits restaurants non étoilés, de quartier où, crois-moi, les ris de veau sont bien meilleurs et surtout plus abondants dans mon assiette !
PS Je précise que ce grognement ne t'est en aucune façon adressée personnellement, mais je pense que tu l'as bien compris...
Bonne journée à toi !
Rédigé par : poutchi | 26 mars 2007 à 14:36
Poutchi > Je comprends ta réaction mais je pense très sincèrement qu'elle n'a pas lieu d'être dans ce cas d'espèce. Parce que justement ce livre présente la cuisine (très souvent étonnante) de jeunes cuisiniers qui pour la plupart n'ont même pas une étoile au Michelin... Tu as sans doute remarqué d'ailleurs que les étoilés ne sont pas souvent présents dans ces Chroniques parce que comme toi, je considère que l'art de bien manger repose avant tout sur le talent et le goût, l'authenticité et les rapports humains. Toutes choses que l'on peut retrouver aussi bien dans un bistrot de quartier que chez un triple étoilé.
Rédigé par : Thierry | 26 mars 2007 à 15:28
alors nous sommes d'accord ! ;)
je m'en vais donc feuilleter cette merveille chez le libraire au coin de ma rue ! (j'ai de la chance je travaille sur un site universitaire... il y a plein de bonnes librairies....) et je reviens te dire quoi quand je l'aurai trouvé !
Rédigé par : poutchi | 26 mars 2007 à 15:53
de retour de chez mon libraire préféré... verdict : pas encore sorti en Belgique !
par contre j'ai acheté 4 autres livres...
aaaah la lecture...
Rédigé par : poutchi | 27 mars 2007 à 13:25
"l'art de bien manger repose avant tout sur le talent et le goût, l'authenticité et les rapports humains" : on en fait pas un peu trop, là ? La boustifaille, c'est pas non plus les Beaux-Arts - et je ne crois pas parler sans connaître. Personnellement je préfère économiser pour ma toile de maître en me nourrissant de poissons panés ;)
Rédigé par : Thomas Mossian | 28 mars 2007 à 12:48
Allons Thomas, tu as suffisament de goût pour reconnaître qu'on ne se nourrit pas que de "boustifaille" et que les plaisirs de la table ont réjouit les âmes les plus nobles depuis la nuit des temps, y compris celles des artistes que tu révères, j'en suis sûr. Et pour cela, il faut à la fois du talent dans l'assiette et de la chaleur humaine tout autour...
Rédigé par : Thierry | 28 mars 2007 à 13:04
Je viens de vous découvrir et vous m'avez donné faim...rire...éveiller la gourmandise d'une femme n'est-ce pas une forme détournée de séduction ?
Rédigé par : noir intense 35 | 29 mars 2007 à 22:38
Auquel cas, je suis séduite...sourire
Rédigé par : noir intense 35 | 29 mars 2007 à 22:43
Bonsoir, Laurent est en podcast sur mon bog.
Au fait je suis la semaine prochaine a Paris peut etre un moment pour se rencontrer?
Rédigé par : stephane | 18 avril 2007 à 22:29