A peine une heure que nous bavardons agréablement dans la pénombre sonore de cette Mezzanine de la Rive Gauche. Je ne la quitte pas des yeux. J’aime les petites mèches blondes, presque transparentes, qui viennent caresser la courbe délicate de sa nuque sous son chignon, j’aime sa manière de croiser les jambes si haut, en forte pente diagonale, j’aime son rire clair en dissidence de sa voix rocailleusement italienne. La partie est lancée. Le jeu subtil de la séduction, coup après coup, jusqu’à l’échec et mat final.
Elle porte sa coupe lentement aux lèvres, aspire une gorgée de bulles et la repose sur la table basse avec cette nonchalance aristocratique qui me captive. Silence. Un dernier regard effronté et elle finit par prononcer cette phrase tant redoutée « Et si on se tutoyait ? »
Je ferme les yeux et la bouche dans un soupir. Non, non, non !
Mais pourquoi diable, vouloir toujours emprunter les raccourcis, couper à travers champs et brûler les étapes ? C’est bien le vouvoiement ! Cela crée cette délicieuse distance entre les êtres qui matérialise l’effort de conquête amoureuse à venir, les charmants obstacles qu’il faudra franchir, le saut du loup des sentiments qu’il faudra surpasser, toutes ces tendres barricades qu’il faudra abattre. Il y a toujours une vraie sensualité dans ce « vous » qui se prolonge alors même que la connaissance de l’autre se fait plus profonde, plus complète, une sorte de respect, une préciosité peut-être. Entre Valmont et Guitry.
Conserver ce vouvoiement, c’est aussi se réserver le plaisir d’un moment merveilleux à venir, toujours imprévisible, où l’on basculera vers le « tu », un passage comme un abandon, le moment de rendre enfin mutuellement les armes. Lorsque les mains se toucheront ou que les corps se seront embrasés. Ce moment si pur et éphémère où toute l’intimité se cristallise sur un seul mot. « Tu ».
Pourquoi s’en priver ?