Ce n’est au début qu’un grondement étouffé et lointain, à peine perceptible jusqu’à ce que la lumière ne commence à vaciller. Le ciel s’assombrit et les ombres peu à peu s’éteignent, vaincues par une semi-obscurité laiteuse et brillante.
C’est alors que l’on commence à sentir le vent se faire plus insistant, qu’on l’entend souffler plus bruyamment dans les arbres, qu’on le voit bousculer les feuilles des pivoines, disloquer les roses passées, encore sur leur tige, dispersant sans dessein leurs pétales fanés aux barrières du jardin.
La chemise se met à claquer sur la peau comme une voile par gros temps, les cheveux s’ébouriffent, on sent au fond de soi comme l’imminence d’un petit drame anodin. Peut-être d’une libération aussi. L’air est encore doux mais on sent poindre comme une odeur humide, d’herbe mouillée ou de rosée du matin. Une soudaine fraîcheur inattendue et vive qui vous saisit.
On lève les yeux, la rumeur sourde se fait fracas et la course des nuages s’accélère subitement, ils passent sur nos têtes comme à bride abattue dans un ciel trop chargé de gris. C’est le signal de la débandade.
On se précipite dans la maison, grimpe les escaliers comme un chat affolé pour fermer en catastrophe les fenêtres des chambres qui commencent déjà à battre la chamade. On fonce dans le jardin pour rapatrier les chaises longues, les journaux envolés, les verres dans le gazon et les livres de poche. Les enfants courent en zig-zag, ramassent leurs pulls qui formaient de beaux embuts et emportent le ballon avec eux en riant. « Les voitures sont-elles bien fermées ? » On sent les premières gouttes, chaudes, éparses et aléatoires qui clappent sur les épaules, la tête et les bras découverts. Puis leur rythme s’emballe.
On se retrouve alors, tous haletants, dans le salon dont on allume les lampes en plein milieu d’une après-midi de Printemps. C’est comme un soir prématuré, une parenthèse de pénombre dans un jour en plein soleil, une sommation au repli, presque au recueillement. Les plus âgés reprennent leur lecture dans les fauteuils, les plus jeunes se collent aux fenêtres pour regarder se déchaîner la pluie, maintenant battante contre les carreaux. Un volet blanc mal attaché claque devant une des fenêtres faisant sursauter les enfants qui reculent d’instinct.
Aux abords le vent fait plier les massifs, secoue les jeunes arbres, le tonnerre déclenche sa canonnade dès que la pluie se fait grêle et mitraille. Mais au milieu de cette soudaine tourmente, de ce tumulte assourdissant, c’est le calme qui frappe dans la maison. Silence. Attente. On ne veut rien ajouter à cette excitation imprévue qui nous laisse muets. Surtout ne rien commenter. On regarde au dehors à travers les gros murs de pierre le jardin qui tangue et on se sent bien. Au chaud, à l’abri. Car c’est toute une métaphore du monde qui se met en place en quelques minutes. Le sentiment apaisant de se sentir en sécurité dans un environnement qui nous échappe, menaçant et brutal.
Puis le vacarme s’apaise, les flots déversés se ratatinent, les magnolias se redressent, un rayon de soleil, éclaireur en échappée solitaire, déchire les nuages. Et c’est l’inondation de lumière en un claquement de doigts. Le retour du beau temps. On peut alors rouvrir la porte et s’enivrer du parfum de la pluie après l’orage.Cela n’aura duré que quelques dizaines de minutes, mais en fin de compte on aurait bien aimé profiter un peu plus de ce calme inattendu, de cette retraite impérative. De ce calme dans la tempête.
Illustration : John Constable – Clouds Study (1822)
on peut rester aussi dessous à se faire saucer tout son soûl...
merci pour cette jolie ode à l'orage.
Rédigé par : bv | 16 mai 2007 à 03:17
J'aime ces quelques minutes où la lumière, qui me rappelle invariablement, sans que je sache si mon impression est juste, une éclipse solaire, annonce l'imminence de l'orage.
Rédigé par : katar | 16 mai 2007 à 11:37
la campagne me manque...
les orages sont moins savoureux à paris !
Rédigé par : solenne | 16 mai 2007 à 12:49
Magnifique prose ! on aurait presqu'envie d'avoir un orage pour goûter à tout cela !
Merci
Rédigé par : thaïs | 16 mai 2007 à 18:46
J'aime beaucoup comment tu racontes l'orage...
Rédigé par : Mlle E | 17 mai 2007 à 00:41
Extra!
Serait-ce l'orage de dimanche dernier, par hasard?
Rédigé par : Chrisos | 17 mai 2007 à 10:10
Je dirai même que j'ai envie d'un orage, là, tout de suite...
(rien à voir, mais, as-tu lu "la femme du Vè" ? Je suis une inconditionnelle de D. Kennedy, je vais bien sûr aller l'acheter, mais j'ai entendu quelques mauvaises critiques. T'en penses quoi, toi ?)
Rédigé par : violette | 18 mai 2007 à 15:39
Un très joli post qui me fait frissonner ... Encore et encore ! Esperons que d'autres articles du même type suivront.
Bons baisers bien pluvieux de Paris.
Flower
ps: Permets-moi de vous conseiller un livre, un seul. Celui que je conseille à tout le monde, tellement j'en suis folle. " Les amants du Spoutnik" d'Haruki Murakami. C'est très court donc il peut être lu en un clin d'oeil...En espérant que vous ne l'avez pas déjà lu ...
Rédigé par : Flower by Kenzo | 19 mai 2007 à 08:49
A tous > Merci encore et toujours pour vos remarques et ce partage de sentiments. Oui, se faire saucer est un autre plaisir, oui la lumière annonciatrice de l'orage en est encore un autre et c'est pourquoi j'ai choisi cette étude de Constable pour illustrer le billet...
Chrisos > Bien vu.
Violette > Je suis fan de Douglas Kennedy depuis Cul-de-sac. Pas encore lu la femme du Vème mais je le lirai, c'est sûr (en plus pour une fois que cela se passe à Paris), et ma bien-aimé a déjà commencé elle... Dès que je sais, je te dis !
Flower > Ca raconte quoi les Amants du Spoutnik ?
Rédigé par : Thierry Richard | 21 mai 2007 à 12:28
merci, je te prendrai peut être de vitesse sur ce coup-là, je pense que je ne vais pas résister plus longtemps et l'acheter cette semaine.
Rédigé par : violette | 21 mai 2007 à 13:07
K est amoureux de Sumire qui ne vit que pour la littérature et l'écriture. Entre en scène Miu une femme mariée intriguante et fascinante. K, Sumire et Miu forment un triangle amoureux inattendu. Un jour Sumire disparaît ...
L'univers de Murakami Haruki est presque iréel et pourtant bien terre à terre parfois. J'ai beaucoup aimé ce mélange du réel avec le merveilleux sans tomber dans l'excès. Quelque chose de magique avec cette simplicité hors du commun. J'ai presque tout lu de lui...Il faut absolument le lire d'urgence!
Bonne lecture
Rédigé par : Flower by Kenzo | 22 mai 2007 à 19:53
@Flower by Kenzo : cela me donne envie de le lire. Merci pour l'info.
Et si notre hôte me le permet, il ne s'agit plus d'orage mais de désert. Quelqu'un a-t-il lu le merveilleux livre de Durin-Valois "chamelle" (il est sorti il y a quelques années)?. J'ai vu qu'un film, tiré de ce livre, est sorti "si le vent soulève les sables". Malheureusement(pour certaines choses comme cela), je n'habite plus Paris et il passe dans très peu de salles.Quelqu'un l'a-t-il vu ?
Rédigé par : Thaïs | 22 mai 2007 à 22:59
Thaïs ...je suis ravie de t'avoir donné l'envie de lire Murakami Haruki. J'espère que notre hôte (comme tu dis ...) aura lui aussi envie de le lire. C'est relativement court et très intense. J'attends vos impressions posituves ou négatives. Je ne connais pas le livre dont tu parles...mais je crois que je vais me le procurer et le lire.
Amicalement.
Rédigé par : Flower by Kenzo | 23 mai 2007 à 23:27
Après ce que je viens de lire, j'ai envie qu'un monstrueux orage s'abatte sur ma maison. Vous retranscrivez la réalité avec tellement de beauté et de lyrisme qu'elle prend une toute autre dimension.
J'ai découvert votre blog hier, je l'ai parcourut puis j'y suis revenue. Je suis en ce moment même en train de découvrir un blog extraordinaire que je compte bien lire en long, en large et en travers.
Bonne continuation.
Rédigé par : Clem | 24 août 2008 à 11:23