C'est comme partout, en gastronomie aussi, il y a parfois des rendez-vous manqués. En rêgle générale, je vous les épargne : sauf rares exceptions (les plus horripilantes) vous ne trouvez dans ces colonnes ni tables boiteuses, ni mauvaises fortunes, ni ratages de cuisine. Les plantades je les garde pour moi. Sauf quand le sentiment de m'être fait avoir comme un bleu me serre le ventre. Alors là, c'est plus fort que moi, il faut que je vous alerte, que je vous épargne le traquenard dans lequel j'ai mis les deux pieds.
Celui du jour eut pour cadre l'Agapé Substance, cette table déchaînant déjà, une semaine après l'ouverture seulement, les enthousiasmes à l'aveugle, les louanges superlatives. Patatras, moi qui me faisais une fête de ce déjeuner entre les mains de David Toutain, j'en suis ressorti (nous, devrais-je dire, puisque mon partenaire gastronome du jour, trop bien élevé pour hausser le ton, rongeait son frein lui aussi en refermant la porte) furieux. Pourquoi ? Une raison simple et passablement irritante : comment démarrer un déjeuner sur un menu à 39 € et finir avec une addition passablement alourdie à 198 € pour deux, avec vins au verre (12 € pièce) et un dessert partagé... Oh, tout s'est fait dans la bonne humeur bien sûr ! On commence par vous proposer du Champagne, puis on insiste, finalement vous dîtes oui (faiblesse alcoolique) et voilà que vous découvrez, une heure plus tard, sur la note le coût de ce petit écart (car bien sûr on ne vous a rien dit) : 44 € (ouille). Vous vous dites, si j'attaque au Champagne, prenons des vins au verre, cela permettra de varier les plaisirs et de ne pas réveiller la mauvaise humeur du banquier. Et pan ! Absents de la carte des vins, on vous sert des verres à 12 € pièce (Un Sancerre de Riffault et un Morgon de Lapierre 2010, vu et bu partout ailleurs). Là encore, vous découvrirez la surprise sur l'addition. Peut-être nous a-t-on pris pour des critiques tous frais payés (la salle en débordait) ?
Et le reste me direz-vous ? Passons sur le cadre, un labo futuriste tout de longueur, aux murs plaqués de miroirs, éclairé aux néons dans une lumière d'un jaune doré métallique assez réfrigérant. Cela peut avoir son charme si l'on aime la lumière artificielle et les plastiques blancs. On dira que c'est un concept. Qu'on prendra soin d'éviter pour les rendez-vous galants. Quant au vrai sujet, la cuisine de celui que certains considèrent comme un jeune prodige de 30 ans, elle oscille entre l'inopportun et le magnifique. C'est souvent le cas avec la cuisine d'auteur, et c'est là sa faiblesse, des rencontres se font et d'autres ne se font pas, sans pour autant que la maîtrise du Chef ne soit en cause. Au bilan des ratages : l'amuse-bouche (Yuzu en trois textures et dentelle de riz, superbe mais atone, sans la moindre percussion) et le Tourteau (servi en minuscules bouchées accompagnées d'un bouillon et d'agrumes, trop evanescent pour laisser une quelconque empreinte). Mais quand la rencontre se fait, c'est le bonheur. Celui des champignons (mousserons, pieds bleus - je crois -, noisettes, petit jus et herbes, croquants, parfumés, un délice) et du veau (très joliment présenté dans une harmonie chromatique noire, recouvert d'olives déshydratées, cuit à la perfection dans un rosé tendre). Dessert autour du chocolat sans grand intérêt si ce n'est de ne pas pousser trop loin le thermostat du sucré (gateau au gruau de chocolat, différentes textures, différents type de chocolat, lait, blanc).
Pour ce qui est du service en salle, vous l'avez compris, je n'en dirai pas plus. Je n'aime pas être pris pour un gogo, fut-ce avec le sourire et dans une fausse connivence. Ah j'oubliais la dernière anecdote : quand vous demandez une seconde carte de visite du restaurant (nous étions deux, dois-je le rappeler), le Monsieur tord du nez et vous fait remarquer qu'elles sont en bois, et que cela coûte cher... Très élégant.
Agapé Substance
66, rue Mazarine
75006 Paris
01 43 29 33 83
Menus à 39 € (déjeuner), 51 €, 65 € (déjeuner), 78 €, 99 €
Plus de photos d'Agapé Substance, ici.